Parmi les plus beaux dessins de manga, ceux de Shin’ichi Sakamoto reviennent souvent. Voici mon avis sur son dernier titre : #DRCL !
#DRCL Midnight Children, tomes 1 et 2
Pour la sortie de ce titre, les éditions Ki-oon avaient fait les choses trèèèès en grand ! En effet, à l’occasion du Festival de la BD d’Angoulême, on découvrait #DRCL par un prisme inédit. Au sein de la chapelle Guez de Balzac, une installation son et lumière nous immergeait pleinement dans cette nouvelle oeuvre de Shin’ichi Sakamoto. D’ailleurs, l’auteur lui-même était présent pour l’occasion; avec dédicaces et masterclass au programme.
Côté presse, nous avons eu la chance de recevoir un kit complet autour du manga. L’écrin dans lequel se présente le titre est tout simplement magnifique, en plus d’être original avec ses pop-up. À l’intérieur, on retrouvait évidemment le tome 1 ainsi que le dossier de presse. En plus de cela, il y avait un pin’s à l’effigie d’une chauve-souris ainsi qu’un présentoir avec un lenticulaire.
À la fin du XIXe siècle, un vaisseau russe embarque d’étranges caisses remplies d’une terre à l’odeur pestilentielle. La traversée des océans est un calvaire pour l’équipage : disparitions et morts suspectes s’enchaînent. Certains parlent d’un fantôme… Quand le bateau parvient enfin à destination en Angleterre, il a tout d’une épave flottante. Alors que la police portuaire se lance à la recherche de survivants, elle tombe sur une énorme créature mi-homme mi-loup, qui disparaît comme par magie…
Quelques instants plus tard, dans le cimetière de la ville, quatre élèves du prestigieux établissement Whitby assistent à une scène terrifiante : un de leurs camarades est capturé par une bête ténébreuse ! Seule Mina Murray, l’unique fille de l’établissement, a le courage de voler à son secours, mais il est déjà trop tard…
Maintenant, si on s’intéresse à l’objet livre, on a là de beaux ouvrages. L’effet vieilli est vraiment réussi ! L’impression est de qualité, sur un papier sans transparence permettant de faire honneur au travail exceptionnel du mangaka. On peut noter la présence de deux pages couleurs en début du tome 1.
Si vous souhaitez un aperçu, voici un extrait :
Mina are you okay ?
#DRCL se présente comme une adaptation du roman épistolaire de Bram Stoker, DRACULA. Ainsi, on retrouve des éléments de ce genre littéraire au travers de la narration. Shinichi Sakamoto représente littéralement la protagoniste, Wilhelmina Murray, qui écrit ses lettres. Je trouve cela original et ça permet également de rythmer l’histoire, même si l’ensemble reste un peu décousu. Au delà de ça, les éléments clés de l’oeuvre originale sont présents.
En revanche, on ne suit pas seulement Lucy et Mina, mais un groupe de protagonistes, et la dynamique qui les lie diffère. Les thèmes abordés sont très différents aussi. De quoi dépoussiérer une des oeuvres les plus connues au monde. Le scénario joue énormément sur le mystère, passant par le visuel, pour nous tenir en haleine. La lecture est aussi floue, qu’envoûtante et permet de redécouvrir le mythe de Dracula. Mais le progressisme de cette relecture ne plaira assurément pas à tous.
Scénario : 3,5/5
Dans #DRCL, on suit un groupe d’étudiant de l’école Whitby : Luke Westenra, Arthur Holmwood, Quincey Morris et Joe Suwa. Chacun est différent, à ses propres failles et vices, que l’on appréciera ou non (car là aussi ancrées dans le progressisme) Mais tous se rejoignent par une détermination commune : ils veulent dépasser cette obscurité qui les entrave, trouver et assumer ce qu’ils sont finalement.
J’ai un affect particulier pour Luke, qui change de personnalité à la nuit tombée pour devenir Lucy. Mais la protagoniste principale, c’est Mina Murray. Elle, plus que tous les autres, revendique cette volonté de s’évincer et de renverser la hiérarchie établie. À travers sa passion pour le catch, ses opinions tranchées, elle incarne une modernité ainsi qu’une certaine idée du féminisme. Ses relations avec les autres sont tumultueuses, relevant parfois du harcèlement, mais le mangaka en tire profit pour la faire briller, peut-être un peu trop.
Personnages : 3,5/5
À titre personnel, j’ai découvert Shinichi Sakamoto avec Ascension. J’avais été bluffé par la maîtrise graphique de l’auteur. Avec #DRCL, je suis toujours sous le charme. L’anatomie est d’une précision chirurgicale. Le niveau de détail frôle l’indécence. Il retranscrit aussi bien l’esthétique gothique victorienne que les émotions de ses personnages. C’est de l’orfèvrerie, plusieurs planches mériteraient d’être encadrées comme des tableaux de peintre.
L’auteur joue avec les contraste noir et blanc mais également de netteté. J’ai adoré sa façon d’inclure le flou. Les métaphores visuelles sont nombreuses et, je trouve, pertinentes. Il se dégage ainsi une atmosphère très particulière qui m’évoque, dans un autre style, le travail de Lovecraft. Mais si je dois être critique vis à vis de cette lecture, je dirais que le découpage manque de dynamisme, et que l’ensemble paraît assez figé. On pourrait aussi lui reprocher des design androgynes un peu trop proches les uns des autres.
Visuel : 4,5/5
Comme je l’ai dit ci-dessus, la lecture de #DRCL m’a rappelé les écrits de Lovecraft et leur adaptation par Gou Tanabe. Le Dracula de Sakamoto se présente avec des décors, vêtements et des compositions d’une grande beauté: c’en est presque enivrant, féérique. Ce qui contraste avec le spectre des épidémies de choléra qui plane également sur l’oeuvre et construit la dimension horrifique du titre. Ce n’est d’ailleurs pas anodin puisque la maladie tient une place prépondérante dans l’histoire de l’auteur irlandais.
Le manga se pare ainsi d’une ambiance unique, empruntant évidemment au fantastique mais aussi au médical, dans le sens où Dracula est décrit comme pourrait l’être une maladie. C’est très organique aussi, viscéral presque, avec une incarnation à mi-chemin entre le végétal et le fongique. C’est un parti-pris que je trouve très intéressant et qui apporte aussi une crédibilité et une consistance au pan horrifique du titre.
Ambiance : 5/5
#DRCL MIDNIGHT CHILDREN, en résumé :
💎 Ce que j’ai aimé :
- L’esthétique gothique victorienne et la qualité graphique.
- L’ambiance horrifique, relevant presque de Lovecraft.
- Mina, une protagoniste forte et déterminée.
- La revisite moderne du mythe de Dracula.
- Un récit aux contours flous, envoûtant et prenant.
🪨 Ce que j’ai moins aimé :
- Le progressisme un peu forcé (qui s’avèrera clivant pour certains)