Retardé par la pandémie depuis presque un an, on ne l’attendait plus. Et pourtant, Le Peuple Loup est enfin dans nos salles de cinéma. La meute vous attend depuis le 20 octobre. Je suis allée lui rendre une petite visite rien que pour vous. Venez, cette fois-ci je vous emmène avec moi.
La fin d’un triptyque
Le Peuple Loup (Wolfwalkers en anglais) marque la fin d’une trilogie de plus de dix ans consacrée au folklore irlandais et lancée en 2009 par le studio d’animation Cartoon Saloon. Après Brendan et le secret de Kells (2009) et Le Chant de la mer (2014), c’est dans la ville de Kilkenny que nous emmènent les deux réalisateurs pour leur nouveau film. Destination : l’Irlande en 1650.
Synopsis
En Irlande, au temps des superstitions et de la magie, Robyn, une jeune fille de 11 ans, aide son père à chasser la dernière Meute des loups. Mais un jour, lors d’une battue dans la forêt, Robyn rencontre Mebh, enfant le jour, louve la nuit. Désormais pour Robyn, la menace ne vient plus des loups, mais bien des hommes.
Dans les coulisses du Peuple Loup, les réalisateurs Tomm Moore et Ross Stewart
Tomm Moore est le réalisateur des deux premiers volets de cette trilogie celtique. Bien qu’on parle de « trilogie », en réalité ces trois œuvres ne se suivent pas. Elles abordent chacune à leur manière une légende du folklore irlandais. Il n’est donc pas nécessaire d’avoir vu les deux premiers films pour aller voir Le Peuple Loup. Avec ce nouveau film, Tomm Moore n’en est donc pas à son coup d’essai. A la fois réalisateur, directeur artistique, animateur et illustrateur, il a travaillé sur de nombreux projets autant dans la publicité que dans l’animation. Ses deux premiers films ont tous deux été nommés dans la catégorie « Meilleur film d’animation » aux Oscars.
Pour ce film, il est accompagné de Ross Stewart, connu pour être à la fois peintre, illustrateur et concepteur. Il accompagne Tomm Moore depuis Brendan et le secret de Kells en tant que directeur artistique et artiste concepteur. Il a également illustré de nombreux livres et ses tableaux sont exposés en Irlande et au Royaume-Uni. Après avoir co-réalisé ensemble un segment du film Le Prophète, produit par Salma Hayek, les deux amis se sont retrouvés pour la réalisation de ce nouveau film du studio Cartoon Saloon.
Scénario : 16/20
Une histoire déjà vue ?
L’intrigue peut sembler peu originale à première vue. Non pas qu’elle soit banale, mais elle rappelle d’autres films d’animation comme Frère des ours (2003) ou encore Rebelle (2012). Pourtant, elle arrive très rapidement à se démarquer et à séduire le spectateur.
L’histoire s’enracine dans la mythologie et le folklore de la région de Kilkenny, plus précisément dans la légende des « wolfwalkers », aussi appelés Loups d’Ossory. Cette légende irlandaise raconte l’histoire d’une tribu de loups-garous liés aux rois d’Ossory, une ville située à l’est de l’Irlande. Ces loups sont des êtres capables de se transformer pendant leur sommeil et de reprendre forme humaine à leur réveil. Selon la légende, les wolfwalkers sont des gardiens et protecteurs des enfants, des hommes blessés et des personnes perdues. Ils représenteraient la figure du « bon loup », attachant et inoffensif.
Un fort ancrage historique
L’intrigue se passe en 1650 à Kilkenny, la ville où on grandi Tomm Moore et Ross Stewart et où se trouvent aujourd’hui les studios de Cartoon Saloon.
La rébellion irlandaise vient d’être écrasée par les troupes d’Oliver Cromwell, Lord Protector d’Angleterre, d’Irlande et d’Ecosse. Les Anglais tentent de « civiliser » l’Irlande en défrichant les forêts et en exterminant les loups qui symbolisent le caractère indomptable du pays. Selon l’historien Michel Pastoureau, le XVIIème est un siècle de guerres et de crises à la fois économique et religieuse où l’espérance de vie est faible. Les populations sont victimes de famine et les loups attaquent de plus en plus les troupeaux et les villages à la recherche de nourriture. Cette période est propice à une forte crainte du loup et fait naître de nombreuses légendes.
C’est à cette époque que sont promulguées les principales lois anti-loups. Ces derniers sont chassés en échange de fortes récompenses et de primes. Robyn et son père sont venus d’Angleterre car celui-ci fait partie de ces chasseurs de loups qui doivent participer à la conquête du territoire. En tant qu’enfant, Robyn est influencée par le discours des adultes et est persuadée qu’il faut éliminer les loups. Avec son arbalète, elle s’entraîne à la chasse, ce qui lui semble être une activité très amusante avant qu’elle en fasse l’expérience. Elle veut elle aussi aider son père à son échelle et trouver sa place dans cette nouvelle vie. L’histoire sert de roman initiatique pour la jeune fille qui, en quittant la ville, va découvrir un monde et des perspectives qu’elle n’envisageait pas jusqu’alors.
Une résonnance actuelle
La forêt possède une place centrale dans le film. En contraste avec une ville-prison, elle est un véritable personnage à part entière. Tomm Moore est un fervent défenseur de la nature. Il est végétarien et soucieux du droit des animaux. Cela était donc comme une évidence pour lui de mettre son film au service de ces différents combats.
Le personnage de Messire Protecteur (figure d’Oliver Cromwell) représente l’ordre religieux imposé et le dirigeant autoritaire. Son approche de la nature est à la fois consumériste et sur le court-terme. Il est le parfait exemple de la société capitaliste. Plus que contrôler les éléments, il veut les dompter comme il souhaite dompter la louve. Il souhaite la destruction totale de la forêt et des espèces qui la composent pour servir ses intérêts personnels. A travers ce film, les réalisateurs souhaitent sensibiliser un jeune public aux enjeux contemporains en matière de tolérance et de préservation de la nature.
L’intrigue du Peuple Loup joue ainsi sur plusieurs affrontements. Historique d’abord, entre l’Angleterre et l’Irlande mais aussi culturel entre les deux jeunes filles et métaphorique entre la ville et la forêt, l’homme et la nature. Loin d’être une œuvre uniquement destinée aux enfants, elle nous invite tous à réfléchir aux enjeux d’aujourd’hui et de demain.
Visuel : 18/20
Un film remarquable visuellement
Personnellement, j’ai adoré l’animation et le visuel. Il y a très peu de choses à redire, pour ne pas dire aucune. Les traits utilisés pour les représentations hors de la ville sont doux, presque esquissés et sont en parfait contraste avec des lignes fortes et droites à l’intérieur des remparts. L’harmonie des couleurs fonctionne à la perfection surtout en ce qui concerne les plans en forêt. Une attention toute particulière a été apportée à la représentation de la nature. Ses tons très chauds et automnaux contrastent avec la froideur de la ville et du château, plutôt dans des tons sombres, bleutés et gris.
Le parti pris de la perspective, inspirée des représentations du Moyen-Âge, peut être un peu déroutant pour l’œil au début mais fonctionne en réalité très bien. Surtout, cela change de ce qu’on a l’habitude de voir. L’animation en elle-même est d’une grande qualité. Certaines transitions fonctionnent particulièrement bien. Il y a de très bonnes idées comme l’utilisation du split-screen afin de confronter les différentes actions des personnages.
Différentes sources d’inspiration
Le film s’enracine dans la mythologie irlandaise et dans l’animation d’Europe de l’Est, notamment des films hongrois adaptés de contes folkloriques. Tomm Moore évoque également les films du studio Ghibli pour leur traitement des questions environnementales. Les plans du film sont comme des toiles de peinture qui empruntent à la fois à l’art moderne, aux tableaux de Klimt et au mouvement cubiste.
La représentation de la nature
Chacun des longs métrages du triptyque porte sur la nature une vision différente. Dans Brendan et le secret de Kells, la flore ressemble à une église et figure la beauté et l’émotion qu’elle peut susciter chez le jeune héros qui n’a pas le droit de pénétrer dans la forêt. Dans Le Peuple Loup, la représentation de la nature n’est pas si contrôlée, au contraire, elle est sauvage et foisonnante, quasiment brouillonne. Les courbes organiques contrastent avec les formes géométriques de la ville. La principale source d’inspiration en termes de représentation de la nature vient du Conte de la princesse Kaguya (2013) d’Isao Takahata.
La représentation des loups joue avec nos différents sens qui sont démultipliés comme ceux de Robyn lorsqu’elle se transforme en louve pour la première fois. La vue, l’odorat, l’ouïe et le toucher (et dans une moindre mesure le goût) sont stimulés. C’est un film qui propose un voyage visuel, émotionnel et sensoriel.
Bande originale et doublage : 17/20
La musique n’a pas non plus à rougir et colle parfaitement à l’ambiance du film. La bande originale est signée Bruno Coulais, connu notamment pour avoir travaillé sur les deux premiers films mais également sur Coraline (2009), en collaboration avec le groupe Kila. Les chansons sont interprétées par la chanteuse norvégienne Aurora (La Reine des neiges 2, 2019), notamment celle utilisée pour la bande-annonce.
En ce qui concerne le doublage, j’ai vu le film en VF (séance pour enfants oblige). Plutôt habituée au visionnage en VOST, je dois avouer que j’ai été agréablement surprise par le doublage français qui fonctionne très bien.
Note globale : 17/20
En conclusion, Le Peuple Loup est une œuvre remplie d’émotions, au scénario accrocheur, avec une animation et des plans sublimes. Un film plus que convaincant donc, à voir absolument qu’on soit petit ou grand. Pour ma part, je cours revoir les deux premiers volets de la trilogie. Bon visionnage !
Sources : Haut et Court ; Brochure de l’Association Française des Cinémas Art et Essai (AFCAE)