Je vous emmène une nouvelle fois avec moi à la découverte du pays du Soleil Levant et de sa culture. Aujourd’hui, nous partons à Kawasaki. Destination : le « festival du pénis de fer » (かなまら祭り, kanamara matsuri). Oui, vous avez bien lu. Cet article sera consacré au pénis sous toutes ses formes. Quoi de mieux que la fête de la fertilité pour lui rendre hommage comme il se doit ?
C’est en pleine floraison des cerisiers que les Japonais célèbrent chaque premier dimanche d’avril le kanamara matsuri. A l’origine dédié à la fertilité, il est organisé par le sanctuaire Kanayama dans la ville de Kawasaki située entre Tokyo et Yokohama. Connu comme le « festival du pénis », il n’a pas fallu longtemps pour qu’il attire des visiteurs curieux venus du monde entier. Loin des stéréotypes que l’on peut avoir sur le rapport des Japonais à la sexualité, le festival renverse les codes le temps d’une journée pour faire tomber les tabous autour du sexe et mettre le pénis au centre de l’attention.
Aux origines du festival du pénis de fer
Ce qui pourrait apparaître comme une blague à première vue, est en réalité une cérémonie sacrée qui puise son origine dans l’ère Edo (1603-1868). En effet, au-delà de permettre aux touristes de sucer des bonbons en forme de pénis, le festival est avant tout une cérémonie shintô consacrée à la fertilité.
Une chose essentielle pour comprendre les origines du festival est de revenir au rapport des Japonais à la sexualité. Avant que les Occidentaux n’arrivent au Japon au XIXème siècle, le pénis n’était pas du tout tabou. C’est durant l’ère Meiji, avec l’occidentalisation de la société, que la nudité et les organes génitaux deviennent tabous. Ainsi, le festival est aujourd’hui l’occasion de remettre le pénis et de la sexualité au centre de l’attention le temps des festivités.
Des prostituées de Kawasaki au festival de la fertilité
Le festival puise son origine dans la prostitution. A l’origine, la ville de Kawasaki s’étendait le long du Tokaido, la route principale qui reliait l’ancienne capitale Edo (Tokyo) à Kyoto. Durant l’époque Edo, les meshi mori onna (飯盛女, « femmes servant des repas ») qui travaillaient dans les auberges étaient souvent des prostituées. Pour se protéger des maladies vénériennes, elles avaient l’habitude de se rendre au sanctuaire Kanayama pour prier. Au fil des décennies, ces pratiques ponctuelles sont devenues une véritable coutume. Les personnes souffrant de maladies ont commencé à être de plus en plus nombreuses à se rendre au sanctuaire. Ce n’est que tardivement en 1977 que le sanctuaire décide de consacrer un festival à la fertilité.
C’est dans les années 1980, avec la propagation du sida, que les autres régions commencent à s’intéresser de plus près à l’événement. Aujourd’hui, ses bénéfices sont reversés à la recherche contre le VIH. Le festival est l’occasion de mettre la santé sexuelle et l’ouverture d’esprit au centre des discussions. L’événement est d’ailleurs un lieu de rassemblement annuel pour la communauté LGBTQIA+.
Au sanctuaire, les Japonais prient Hiko et Hime. Leur rôle est d’assurer un mariage heureux, de bonnes relations sexuelles, un accouchement sûr ou encore l’arrivée d’un enfant. Selon la légende, c’est après avoir soigné Izanami (イザナミ, la déité féminine originelle) des brûlures de son accouchement du dieu du feu que Hiko et Hime devinrent les protecteurs des maladies de la partie inférieure du corps dont l’appareil génital. En plus d’être le couple protecteur de la sexualité, ils protègent également les forgerons. Ces derniers sont d’ailleurs parmi les principaux visiteurs du sanctuaire. Vous me direz, quel lien entre les forgerons et le festival du pénis ? J’y viens de suite…
Forger un pénis de fer pour briser les dents du démon
Pourquoi le « festival du pénis de fer » et non pas le « festival de la fertilité » ? Surtout, quel lien avec les forgerons ? Pour expliquer cela, il ne faut pas seulement remonter le temps mais plutôt s’intéresser aux légendes japonaises. A l’origine du sanctuaire, une ancienne légende raconte qu’un démon amoureux d’une jeune femme s’était caché dans son vagin. Jaloux de ses rivaux, il décida de castrer deux des prétendants de la jeune femme lors de leur nuit de noces. Pour se débarrasser du démon, la femme alla trouver un forgeron qui lui fabriqua un phallus de fer afin de briser les dents du démon à la prochaine morsure. L’objet forgé devint alors un objet de culte. Aujourd’hui, on retrouve une forge et une enclume qui rappellent la légende dans l’enceinte du sanctuaire.
Entrons dans le vif du sujet : le festival du pénis de fer
Les festivités s’étalent sur toute la journée. Fermé au public depuis le début de la crise sanitaire, le festival accueillait jusqu’alors près de 30 000 personnes par an. Parmi les visiteurs, plus de 60% étaient étrangers.
La parade des pénis
Le festival est principalement connu dans le monde entier pour ses 3 mikoshi (神輿, sanctuaire portatif) phalliques que les participant portent sur leurs épaules durant la procession de l’après-midi :
- Le « grand mikoshi » (大神輿, dai-mikoshi) : sous une forme carrée surmontée d’un toit, il abrite un pénis de bois dressé.
- Le « mikoshi bateau » (船神輿, fune-mikoshi) : bateau surmonté d’un toit abritant un pénis de fer noir. Il serait inspiré des coques des navires américains sur lesquels naviguait le Commodore Matthew Perry à son arrivée au Japon au XIXème siècle. Il s’agit d’un don de l’entreprise Hitachi Zosen qui fabriquait autrefois des navires.
- Le « mikoshi Elizabeth » (エリザベス神輿, Elizabeth-mikoshi) : probablement le plus célèbre. Ce pénis géant rose est un don du club de travestis Elizabeth Kaikan (エリザベス会館, Maison d’Elizabeth) d’Asakusa-bashi (浅草橋). Ce sont généralement des hommes travestis en femmes qui le portent.
Le pénis sous toutes ses formes
En attendant la parade, le sanctuaire prévoit de nombreuses animations. Que ce soit dans les décorations du sommet des palissades ou sur les stands, l’organe sexuel masculin est présent partout. Pour découvrir les nombreux objets conçus pour l’occasion, rien de mieux que faire le tour des marchands installés dans l’enceinte du sanctuaire. Spécialités culinaires, souvenirs à l’effigie des organes génitaux, sucreries, petits concerts… Il y en aura pour tous les goûts.
Si vous vous ennuyez en attendant la parade, pas de panique. Le festival a prévu une animation très spéciale. Vous pourrez sculpter des daikon (大根, radis blanc) en forme de pénis. Le sanctuaire accumule également de nombreuses plaquettes ema (絵馬) aux couleurs du festival. Les visiteurs peuvent y écrire un vœu à destination des divinités du sanctuaire.
Un festival « victime de son succès » ? (Japanization)
Avec la mondialisation du tourisme et le succès que rencontre le Japon, il était évident que les touristes étrangers seraient de plus en plus nombreux à s’intéresser au « festival du pénis ». Notons également que le festival se déroule en pleine floraison des cerisiers, la période la plus touristique au Japon. Les visiteurs étrangers sont si nombreux que les festival a dû adapter son organisation. Messages d’information en anglais, police pour sécuriser la parade, l’événement doit se dérouler sans débordements, ce qui n’empêche pas certains de prendre la cérémonie à la légère.
Il est important de rappeler qu’avant de devenir une foire pour les étrangers, il s’agit avant tout d’une cérémonie sacrée et conviviale. Des jeunes enfants aux personnes âgés, beaucoup de Japonais se réunissent au sanctuaire pour l’occasion. Toutefois, beaucoup de Japonais restent mal à l’aise à l’idée de participer à la cérémonie et évitent de se rendre à ce festival.
C’est la fin du point culture du jour ! Pour aller encore plus loin, pourquoi ne pas découvrir le festival à travers une vidéo ?
Sources : Kanpai ; Japan Travel ; Japanization ; Gaijin Japan ; Twitter officiel
Image de mise en avant : Héctor García
Article écrit le 3 avril 2022.