Avec la sortie de son ultime tome en Juin dernier, il est maintenant l’heure de vous donner notre avis sur le très bourrin Jagaaan. Avis sans spoiler mais avec beaucoup de A.
Jagaaan ou Jagaaaaaan
Prépublié dès 2017 dans le Big Comic Spirits de Shôgakukan, Jagaaan est une création de Muneyuki Kaneshiro et dessiné par Kensuke Nishida. Le premier nom vous dit certainement quelque chose car il est le scénariste d’Akû le chasseur maudit ainsi que du déjà très connu Blue Lock ! Ici, Maître Kaneshiro nous emmène dans un univers complètement déjanté (peut-être pas tant que ça) où l’hémoglobine et la perversité humaine règnent. Jagaaan n’est absolument pas un manga à mettre entre toutes les mains. Voici de quoi ça parle :
Shintarô Jagasaki travaille comme agent dans un petit poste de police. Il vit avec sa petite amie, s’imagine déjà marié et père de famille… mais cette perspective d’avenir ne le réjouit pas particulièrement. Un jour, il tombe nez à nez avec un mutant chaotique et dévastateur ! C’est alors que la main droite de Shintarô se métamorphose… Au beau milieu de la destruction et du désespoir, un nouveau héros au côté sombre vient de se révéler !
Dès les premières pages, on sent tout de suite les inspirations venues de Parasyte et d’Arms. D’ailleurs, l’auteur y fait justement référence afin de rendre hommage à l’œuvre d’Hitoshi Iwaaki. Cependant, on vous rassure tout de suite, Jagaaan n’a rien à voir avec Parasyte, oh ça non !
Nous sommes tous des détraqués
Dans Jagaaan, nous suivons donc Shintarô Jagasaki, policier en manque d’adrénaline dans sa routine quotidienne. Routine qui va s’arrêter net lors de sa rencontre avec un « détraqué ». Ces créatures ne sont autres que des humains ayant été contaminés par un « crapadingue », une sorte de crapaud extra-terrestre qui va permettre à l’hôte de laisser libre cours à ses pulsions les plus primaires. On salue le travail des traducteurs qui ont su trouver des jeux de mots et descriptions plutôt sympa à l’apparition de chaque nouveau détraqué.
Jagasaki est lui aussi contaminé mais la différence est que son crapadingue n’est qu’à l’état de têtard. Ce qui signifie que notre héros peut « contrôler » ses pulsions et ses désirs. Ce que l’on apprécie dans le récit, c’est que plus nos désirs sont puissants, et plus nous devenons un détraqué puissant ! De plus, les désirs n’ont pas qu’une seule forme et peuvent être issus de mille et une choses. Comme nous tous, Jagasaki se demandera assez souvent ce qu’il veut pour de vrai.
Le manga nous fera rencontrer d’autres personnages comme Jagasaki appelés « Détra-Combattants » qui comme lui peuvent contrôler ce pouvoir de détraqué mais sont tous aussi tiraillés dans leurs motivations. Soif de justice, de reconnaissance, être célèbre, reconstruire son passé, être aimé, etc…
Jagaaan ou plutôt un manga sur l’addiction ?
Quand on parle de désir, on parle assez souvent d’addiction. Les deux sont étrangement liés, vu que l’un permet généralement d’estomper l’autre. À la mort d’un détraqué, ceux-ci génèrent des boules de « crottes ». Les détra-combattants doivent sniffer cette substance afin de leur permettre de conserver le contrôle de leur pouvoir. Tiens tiens tiens, on n’aurait pas ici la parfaite métaphore d’un drogué ? Après avoir joui du plaisir de toute puissance, ils doivent courir reprendre une dose pour se sentir « normal » ? Dans ce cas on pourrait peut-être qualifier les détraqués de personnes en « overdose » de désirs ?
Muneyuki Kaneshiro nous parle clairement d’addiction et comment nous sommes tous plus ou moins retenu par quelque chose. Cela peut être matériel ou complètement psychique, nos désirs s’heurtent à notre quotidien et engendrent naturellement des addictions qui doivent être « soulagées ». C’est assez fort de voir un manga aller aussi loin dans le psychologie de ses personnages et dans leurs quêtes personnelles. Comme dit Chiharu dans le manga « nous sommes tous des égoïstes », nos intérêts passent avant tout, même quand on fait croire que c’est pour les autres. Le trait de Nishida amplifie le côté « perversité » de l’homme avec de nombreux sourires de façades (domaine dans lequel Jagasaki excelle au début du manga).
Des personnages tous plus fous les uns que les autres
Jagaaan est un manga qui va mettre en avant la cupidité de l’homme et sa soif de désirs. En plus de traiter de diverses thématiques humaines et sociétales, le manga avance à un rythme très soigné. Ni trop rapide, ni trop lent, on prend plaisir à suivre le parcours de ses détraqués. Car oui, en plus de Jagasaki, les auteurs nous font suivre en parallèle le quotidien d’autres détraqués. La première partie est avec Roba « le violeur » et la seconde avec « Airi ». Sans compter tous les autres personnages que l’on rencontre qui ont vraiment tous un fond particulier et des désirs propres.
L’œuvre n’a pas réellement « d’antagoniste » également, nous suivons plutôt différents personnages aux motivations diverses qui ne se rejoignent pas forcément. Jagasaki étant lui-même un peu perdu, on ne peut pas dire qu’un autre personnage fait complètement front à sa vision du monde. Le début du manga laisse suggérer que ce grand « méchant » serait Chiharu mais plus on avance et plus son évolution l’emmène vers quelque chose d’autre.
C’est une histoire où la position des personnages change énormément. D’alliés ils peuvent passer à ennemis, et inversement, très rapidement. Il suffit que les intérêts convergent ou ne convergent plus dans le même sens pour voir des relations entre protagoniste se modifier.
PAN ! T’es mort !
Si vous cherchez un bon seinen qui vous fera quand même un peu cogiter à chaque fin de volume, Jagaaan est complètement fait pour vous. Avec son scénario bien tissé et un dessin soigné qui laisse libre court à une violence sans nom, l’œuvre de Kaneshiro et Nishida ne pourra pas vous laisser inerte. Laissez vous porter par vos désirs et soyez également contaminés par un crapadingue pour devenir un détraqué haha. Les 14 tomes de Jagaaan sont disponibles en intégralité aux éditions Kazé.
Eh oui… Pour l’instant, aucune d’adaptation animée n’est prévue.
Note pour l’intégrale: 16/20
L’avis de Louis
Jagaaan… Voilà un manga bien singulier et assez original. Le concept est aussi simple qu’extravagant, et permet à l’auteur d’exploiter des thématiques diversifiées. Ainsi, on passe des désirs incontrôlables enfouis au plus profond de nous, à une réflexion sur les héros, les rebelles et la toxicité derrière cela. On passe également par un excellent arc nous parlant de harcèlement et d’injustice. Tous les sujets sont abordés: on parle d’amour, d’identité, d’addiction, de frustration, tout cela sous le prisme du désir et de la pulsion.
Chacune des thématiques de l’oeuvre qu’est Jagaaan est portée merveilleusement par un ou plusieurs personnages. Ce qui les ancre encore plus dans le réalisme du récit. L’auteur ne cherche pas à donner des réponses par rapport à ces thèmes. Au contraire, il nous pousse à la réflexion. Il ne nous dit pas si les désirs, l’héroïsme, etc, sont une bonne chose ou non. Même les antagonistes sont emplis de contradictions, on n’en vient à se demander parfois où se situe l’ennemi et le mal.
Un héros pas si héroïque
Parce que oui, le protagoniste que nous suivons est on ne peut plus intéressant. Tantôt héros avec des principes altruistes, tantôt anti-héros avec pour seule expression ses désirs égoïstes. Il est le point névralgique du récit. À lui seul, il apporte énormément de réflexion sur les désirs et le vrai « soi ». Il agit comme un miroir au regard des lecteurs face aux autres personnages. Jagasaki incarne à la perfection notre point de vue face aux événements.
Que dire du dessin, d’une justesse incroyable, aussi solide que délicat. Parlons du découpage, aussi clair, dynamique et immersif dans les scènes de combat comme les scènes plus calmes. Les design des personnages et les concepts des détraqués sont tous aussi délirants et effrayants à la fois.
Je ne peux que vous conseiller la lecture de ce chef d’œuvre malheureusement trop méconnu qu’est Jagaaan. Petit avertissement, le manga est tout de même viscéral et violent. Il aborde des thèmes très sombres de manière cruelle et réaliste. Certains pourraient être repoussés notamment par la surabondance de scène de sexe. Si deux ou trois sont totalement gratuites, la plupart sont cohérentes et logique. Car qu’est-ce qui représente le mieux les désir enfouis en nous, frustrant ou non, que les pulsions sexuelle et meurtrière ?
Jagaaan est avant tout une réflexion sur nos désirs et pulsions cachées. Surtout, jusqu’à où une personne serait prête à aller, voir se transformer, pour eux.