Récit déroutant sur fond de littérature, Saules aveugles, femme endormie nous transporte dans un autre monde, pour le meilleur et pour le pire. Film aussi intelligent que déroutant, il saura tant charmer le spectateur que lui faire perdre tous ses repères. Et personne ne sortira vraiment indemne de cette séance. On vous dit tout.
A la recherche des saules aveugles et des femmes endormies
Commençons par le commencement. Saules aveugles, femme endormie, qu’est-ce que ça nous raconte ?
Un chat perdu, une grenouille géante volubile et un tsunami aident un attaché commercial sans ambition, sa femme frustrée et un comptable schizophrène à sauver Tokyo d’un tremblement de terre et à redonner un sens à leurs vies.
Vous me direz, où sont les saules et les femmes dans tout ça ? Cela ne nous aide pas vraiment. Et effectivement, je ne me risquerais pas à proposer un autre résumé que celui-ci.
Dans ce long-métrage d’animation, le réalisateur Pierre Földes adapte plusieurs nouvelles du célèbre écrivain japonais Haruki Murakami. D’ailleurs, Pierre Földes est loin d’être le premier à se frotter à ce génie littéraire – on pense notamment à l’excellent Drive my car de Ryusuke Hamaguchi sorti en 2021. La nouveauté ici est que le réalisateur n’adapte pas une mais six histoires, parmi les 23 nouvelles du recueil éponyme.
Grande amatrice des adaptations de l’auteur, je me suis dit « voyons voir si je reconnais certaines nouvelles ». Et c’est là que ça se corse car le film n’adapte pas les histoires courtes les unes à la suite des autres. Au contraire, il choisit plutôt de les entremêler, de les dissocier, de nous perdre, pour créer un récit inattendu, porteur à la fois de sens et de non-sens qui rend l’ensemble particulier mais pas indigeste.
Pourtant, on passe près de deux heures à se demander ce qu’on est venu voir et là est tout l’intérêt du film.
Être avec toi, « c’est comme vivre avec une bulle d’air »
La vraie histoire se vit à travers les rencontres des personnages, lancés dans une quête identitaire.
Kyoko traumatisée par le tremblement de terre du 11 mars 2011 quitte Komura, son mari. Désemparé, ce dernier entreprend un voyage inattendu pour livrer une mystérieuse boîte au contenu inconnu à la sœur de son collègue à Hokkaïdo, au nord du Japon. Au même moment, Katagiri, salary-man type d’une entreprise japonaise, apprend d’une grenouille messager nommée Frog que lui seul est capable de sauver Tokyo d’un tremblement de terre imminent et dévastateur.
Vous l’aurez compris, loin d’être un récit linéaire, le scénario imbrique les histoires des uns dans celles des autres pour nous laisser entrevoir les doutes et les problèmes de chacun, avec un sous ton métaphorique souvent opaque mais plutôt agréable.
On décernera une mention toute particulière à l’incroyable Frog, dont chacune des interventions saura marquer le spectateur. Ce ne sera pas le seul, même si l’hermétisme global du récit empêche bien trop souvent de s’attacher aux personnages… Ils n’en restent pas moins bouleversants et intéressants pour un spectateur qui a envie de savoir comment tout cela va bien pouvoir se terminer.
Katagiri au pays des tremblements de terre
Entre rêves, fantasmes et souvenirs, le fantastique se mêle au quotidien de ces individus en proie au chagrin, à la solitude, voire à la démence pour proposer un récit presque pesant, empli de misère humaine et de désespoir. Au fond, qu’importe ce qu’il y a dans la boîte, qu’importe le vœu, qu’importe le tremblement de terre, ce qui compte c’est le voyage parcouru.
Je n’ai pas la prétention de dire « moi, j’ai tout compris au film ». Mais là n’est pas l’essentiel. Au-delà du sens, il faut saisir l’essence du film. On sort même avec un certain goût amer d’inachevé.
Nous n’aurons donc pas toutes les réponses à nos questions ? Non. Ce n’est clairement pas l’objectif du réalisateur.
Qui est donc Pierre Földes ?
D’ailleurs, connaissez-vous réellement Pierre Földes ?
Réalisateur, compositeur et peintre, il a un parcours atypique dans le milieu. Avec ce premier long métrage, il signe une œuvre novatrice, bien loin d’une imitation grotesque du cinéma d’animation japonais. Au contraire, Földes ne penche ni vers la japonisation à outrance, ni vers l’occidentalisation de mauvais goût.
Après trois années de travail, il propose un film basé sur un nouveau concept : « live animation ». Assemblage de techniques, les animateurs utilisent la rotoscopie pour reproduire les contours des acteurs filmés en prise de vue réelle. Tout cela dans le but de reproduire le plus fidèlement possible le dynamisme du mouvement.
Certes, les expressions sont fidèles à la réalité mais paradoxalement assez fades. L’animation des visages en 3D sur des décors en 2D crée un ensemble flottant, presque nauséeux. Cela est dû en partie aux jeux de transparence. L’animation n’a pas vraiment de profondeur et l’arrière-plan se dessine grâce aux traits simples, comme une inversion des couleurs – après tout, la présence des figurants n’a pas lieu d’être ici.
On apprécie toutefois ces traits à peine esquissés chez les personnages principaux, notamment Frog – la grenouille – dont l’animation est particulièrement réussie. L’environnement est également teinté d’expressionnisme et Földes fait le choix de proposer quelque chose que l’on ne verra nulle part ailleurs – et on l’en remercie.
Et au milieu de tout ça : du Mozart
La musique, assez minimaliste, est rapidement oubliée. Cependant, la couleur est annoncée par l’ouverture et la clôture du film avec le même concerto de Mozart.
Personnellement, je n’ai pas apprécié le doublage, au casting pourtant prometteur. Peut-être l’animation en elle-même ne collait pas à l’image qu’on s’en faisait en écoutant les voix. L’ensemble était assez monotone, pour un résultat qui ne convainc pas vraiment…
Saules aveugles, femme endormie : « Des choses cachées derrière les choses »*
En conclusion, Pierre Földes propose un film d’une richesse infinie, un peu loufoque, qui permet à chacun de faire un travail introspectif en s’interrogeant sur le sens de notre quotidien.
Loin de fermer des portes, le film ne cesse d’en ouvrir – pour prolonger le questionnement chez le spectateur.
Ma critique vous aura peut-être un peu effrayé… Pourtant, je ne peux que vous recommander de donner sa chance à ce film. Après tout, mieux vaut se faire sa propre opinion !
Note : 14/20
Saules aveugles, femme endormie est en salles depuis le 22 mars. Qu’attendez-vous ?
*Citation de Jacques Prévert, Japon Cinéma