Depuis le 12 avril, la jeune Suzume ouvre des portes partout en France. Le film vaut-il le visionnage ? On vous donne notre avis au travers de cette critique !
Enfin, le nouveau film du réalisateur Makoto Shinkai a franchi les frontières françaises et s’est installé dans les salles obscures pour le plus grand bonheur des fans. Depuis plusieurs jours, les critiques élogieuses surgissent de toute part. La presse spécialisée et les médias plus traditionnels sont unanimes : Suzume est le nouveau chef d’oeuvre de Makoto Shinkai.
Pourtant, en 2019, Shinkai avait manqué d’audace. Il avait proposé aux spectateurs un film trop proche de son œuvre de référence pour les fans du genre : Your Name, sorti en 2016. Aux antipodes de Hayao Miyazaki, Mamoru Hosoda ou encore Maasaki Yuasa, Shinkai n’est pas maître dans l’art de se renouveler. Il semblait, au contraire, poursuivre sa route sur des sentiers battus.
Finalement, Suzume ne serait-il pas qu’un énième Your Name ? Makoto Shinkai peut-il conserver le succès en réutilisant ce qui a su faire sa réussite ? On vous répond de suite.
La recette d’un succès
« Makoto Shinkai », ce nom seul semble être associé à une œuvre phare : Your Name, élevé au rang de chef d’oeuvre inconditionnel dès sa sortie en salles en 2016. Pourtant, le réalisateur était loin de son coup d’essai et pouvait déjà témoigner de plus de 10 ans de carrière dans le milieu du cinéma. La Tour au-delà des nuages, 5cm par seconde, The Garden of words, Voyage vers Agartha, combien de Français avaient déjà entendu parler de ces films avant de découvrir ce qui allait révolutionner l’animation japonaise au milieu des années 2010 ?
Et c’est bien normal, car les précédents films du réalisateur n’avaient pas bénéficié de la même visibilité en Europe. Ils avaient dû se contenter d’une sortie directement en DVD. En 2016, le distributeur français Eurozoom permet à Makoto Shinkai de percer le plafond de verre. Your Name est sur toutes les lèvres.
C’est dans ce contexte que le cinéma d’animation japonais poursuit son ascension. Dès les années 2020, il commence à acquérir enfin ses lettres de noblesse. Mamoru Hosoda foule le tapis rouge du célèbre Festival de Cannes en 2021 pour son film Belle, tandis que Makoto Shinkai marche dans les pas de Hayao Miyazaki en voyant Suzume être sélectionné en tant que film d’animation à la Berlinale, pour la première fois depuis Le Voyage de Chihiro. Après tout, Shinkai est connu pour être « le nouveau Hayao Miyazaki ». Mais en 20 ans de carrière, le réalisateur a su réinventer son propre style et s’éloigner de plus en plus des codes prêtés au studio Ghibli pour s’émanciper du maître du cinéma d’animation japonais.
Your Name, une œuvre de référence
Avec Your Name, son travail se métamorphose et porte la beauté de l’animation à son paroxysme. Musique, scénario, animation, doublage : rien ne semble pouvoir entacher son œuvre. Your Name semble indétrônable. C’est le début du succès mondial pour le réalisateur. Dès 2019, il tente un coup de maître : revenir avec un film dans la lignée de sa nouvelle direction artistique. De là naît Les Enfants du temps. Malheureusement, les critiques sont claires : le film est bon mais reste dans l’ombre de son prédécesseur. Même direction artistique, même bande originale, même trame scénaristique, même duo de personnages : les spectateurs pointent les similitudes tout en lui reprochant les différences. Les Enfants du temps devient en quelque sorte « Your Name 2.0 », dans une version moins aboutie.
Dès lors, la question que tout le monde pourrait se poser est : Makoto Shinkai est-il capable de sortir de sa zone de confort ? Your Name n’a-t-il pas placé la barre trop haut aux yeux des spectateurs ?
Suzume, le nouveau chef-d’oeuvre du réalisateur ?
Alors quand le public découvre les premières images de Suzume en 2022, la crainte est justifiée. Suzume no Tojimari va-t-il enfin apporter un vent de nouveauté ?
Les premières images séduisent autant qu’elles déçoivent. Le réalisateur tient ses promesses : il propose un film sublime. Mais déjà le spectateur entrevoit les ressemblances. Pourtant, dès les premiers plans, on comprend aisément qu’il nous propose quelque chose de nouveau. Shinkai prend les devants et nous entraîne dans un voyage à travers le Japon, un Japon meurtri par les nombreux tremblements de terre. La trame de fond s’inscrit dans la lignée des catastrophes naturelles, certes, mais aussi dans l’histoire du pays. En choisissant de parler de la triple catastrophe de 2011, Makoto Shinkai signe une œuvre profonde et grave qui porte une résonance toute particulière dans son pays d’origine.
Les portes qui s’entrouvrent et se ferment portent en elles le poids du passé, des traumatismes d’un pays, mais surtout la mémoire collective. Makoto Shinkai tente à sa manière de fermer ces portes comme des plaies béantes qu’on soignerait enfin. Et ça marche.
Au-delà d’être collectives et nationales, la mémoire et la douleur sont aussi personnelles. Ce voyage géographique sert d’introspection et de reconstruction à Suzume elle-même. A travers son périple, le réalisateur nous donne à voir une multitude de portraits de femmes, toutes plus fortes et intéressantes les unes que les autres.
Quant au duo auquel il nous a habitué, Makoto Shinkai semble rire au nez du spectateur. Car quoi de mieux pour casser la redondance du jeune beau garçon et de la jeune fille têtue que de proposer un duo aussi bancal que cette petite chaise pour enfant à laquelle il manque un pied ? Suzume n’est en rien un alter ego. C’est elle la vraie héroïne de l’histoire. Elle brise à elle seule le mythe du beau prince venu sauver le monde.
C’est aussi ce qui fait la singularité de ce film. Makoto Shinkai nous surprend en maniant l’humour et l’absurde avec intelligence. Malgré la dureté du scénario, le spectateur s’attache aux personnages et laisse s’échapper plusieurs sourires tout au long du film.
Inutile d’évoquer le visuel et la musique, tant Makoto Shinkai demeure une référence en matière de réussite artistique et d’ambiance sonore – peut-être l’un des maîtres en la matière (mis à part la DA du ver très décevante de moins point de vue).
Suzume est-il vraiment «Your Name 3.0 » ?
Évidemment les similitudes avec ses anciennes œuvres sont nombreuses : la distinction entre ville et campagne, le duo, la notion de sacrifice, la séparation, le traumatisme, la mort et le deuil, le fantastique, la catastrophe naturelle, l’importance de la nature et du shintoïsme, le fil rouge… Difficile de toutes les lister. Mais finalement à quoi bon ? Si certains reprocheront ce choix de la facilité assumé, d’autres, au contraire, seront d’autant plus séduits par cette proposition.
Même si le renouvellement artistique et scénaristique n’est encore pas pour tout de suite, le film reste une réussite. Certes, le schéma narratif est cyclique voire redondant mais l’intention est là. Mon seul regret serait la pointe d’histoire d’amour artificielle qui aurait pu être éludée au profit d’une amitié bien plus forte, cohérente et intéressante.
Note : 17/20
En bref, Suzume est un film qui mérite amplement les louanges et le succès et qui saura – sans aucun doute – séduire les fans du genre. Alors, vous aussi, n’hésitez pas à franchir cette porte vers l’inconnu.
Mais avant ça, franchissez une première porte vers la critique de Louis, juste en dessous.
L’avis de Louis
Que dire de plus sur ce nouveau film de Makoto Shinkai que nous n’avons pas déjà dit sur ces précédents films. C’est encore une masterpiece. Tout est très bon dans ce film. Nous ne nous attarderons pas sur l’animation, les décors, les lumières, la mise en scène ou les OST. On s’en doutait, et tout le monde le sait, c’est bien évidemment plus que maîtrisé. Mais il est vrai que c’est toujours aussi impressionnant de voir tant de qualités, même dans des détails. La scène d’intro était si qualitative que, jusqu’à l’apparition du titre, j’étais scotchée sur mon siège. Toute l’introduction nous met directement dans le bain, et c’est peu dire.
Que dire du reste alors ? L’intrigue, comme tous les films de Shinkai, reste relativement simple. Et nous parle encore une fois d’amour principalement. Mais cette simplicité n’est pas un défaut, tout au contraire. En effet, simplicité ne veut pas dire simpliste. Et ça fait du bien de voir des films qui vont à fond dans les émotions et le merveilleux. Le film n’a pas cet air cynique qui désamorce toute situation, il assume pleinement son propre propos et son côté fictif. Contrairement à la mouvance des blockbusters récents. (oui oui, je pense à vous Marvel). On est ici à fond dans le fantastique, dans l’émotion, dans la beauté. Dans le rêve.
On est dans un niveau d’immersion incroyable. Et à cela, les personnages nous aident beaucoup. Aussi bien les principaux, que secondaires, ou même tertiaires. Mention spéciale pour Suzume, qui est le summum de l’attachement, du courage, et de l’amour. Et si les personnages secondaires, à part un ou deux, restaient plus ou moins anecdotiques dans ces autres films, ici, ils sont tout aussi attachants, drôles et un minimum développés. Même chose pour les personnages tertiaires, ceux que Suzume rencontre au fur et à mesure. Nous sommes investis dans leur histoire, dans leurs émotions. N’oublions pas de parler des thématiques qui, bien que peu exploitées, sont quand même présentes et intéressantes. Ainsi, on nous parle de temps qui passe, de mélancolie, de deuil, de nostalgie même. Tout cela par l’exploration de lieux abandonnés qui recèlent de souvenirs. Et par lesquels s’ouvrent justement les fameuses portes.
Mais à l’instar d’un Ghibli, on retrouve aussi des idées parlants de natures, d’esprit, bref, de shintoïsme. D’ailleurs, Suzume a bien plus en commun avec les Ghibli que ce qui était dit pour les autres films de Makoto Shinkai. Si je remettais un peu en cause la comparaison avec Miyazaki à ce moment-là, je la comprend mieux aujourd’hui. Les thématiques, les émotions ou même les idées sont communes.
On retrouve cette importance du détail, aussi bien dans les décors, l’animation ou dans des scènes du quotidien. Bref, Suzume est un film émouvant, d’une beauté et d’une qualité d’animation formidable, qui étonne encore, malgré ce que nous a déjà sorti Shinkai avant. C’est un film qui, encore une fois, va à fond dans les émotions, dans le merveilleux, dans le fantastique, et nous émerveille tel un enfant. Makoto Shinkai a beau être différent dans son approche, je trouve que ça reste un successeur dans la lignée totale de Miyazaki.
Note : 19/20
Sources des images : Eurozoom