Dans le cadre de la Japan Expo 2022, nous avons eu la chance de rencontrer VanRah, mangaka française que vous connaissez sûrement pour avoir réalisé Stray Dog, Ayakashi et d’autres mangas édités chez Glénat. Son parcours, ses conseils pour les rookies mangaka, elle nous dit tout !
VanRah, ravie de vous rencontrer. Est-ce que vous pourriez-vous présenter pour les otakus qui ne vous connaissent pas ?
Alors enchantée, je suis VanRah, auteure de manga d’origine française. Je travaille actuellement sur des séries publiées par Glénat, à savoir Stray Dog, Ayakashi, MortiCian et très prochainement NeverEnd.
Avant d’être mangaka, vous avez travaillé dans le milieu médical. Comment vous êtes-vous reconvertie dans le manga ?
C’est un très bon terme utilisé ! À la base, je suis osthéopathe-pédiatre, je le suis toujours d’ailleurs ! J’ai toujours dessiné pour pouvoir expliquer les pathologies à mes petits patients, qui sont souvent très jeunes. Faire de petites BD pour leur expliquer ce qui leur arrive et comment le traiter, ça leur permettait de dédramatiser les choses et de pouvoir communiquer facilement. C’est toujours plus facile de comprendre un dessin que des paroles complexes. Ça m’a donné envie de progresser pour que mes dessins soient plus ressemblants, plus réalistes. A partir de là, j’ai aussi eu l’envie de créer des petits décors, encore pour détendre les enfants hospitalisés.
Comment avez-vous appris à dessiner ?
Étant auto-didacte, il y avait beaucoup de choses que je ne savais pas faire. C’est en lisant Batman que j’ai contacté un dessinateur nommé Inkist, en lui expliquant que je voulais faire comme lui. Il a pu m’apprendre beaucoup de choses, notamment à encrer mes premières pages. A un moment, il s’est retrouvé en retard sur le travail qu’on lui a confié et pour l’aider, je lui ai proposé de faire quelques planches incomplètes. Il a pu rendre son travail à temps et a expliqué à son éditeur qu’en tant qu’assistante je l’avais aidé. C’est comme ça que je suis rentrée dans le milieu, qu’on a commencé à me confier de l’encrage.
Enfin de compte, vous avez débuté dans les comics alors ?
Effectivement, j’ai travaillé par la suite sur des licences telles que Batman et Green Lantern en tant qu’encreuse. Travailler sur des licences de cet acabit c’est très intéressant. Le souci, c’est que selon les scénaristes avec lesquels vous travaillez, vous êtes soit de vrais collègues de travail, soit des exécutants. Parce que chez eux, le dessin est très souvent secondaire. Certains acceptent notre point de vue sur l’aspect dessin, mais d’autres privilégient le scénario et affirment qu’il ne bougera pas. Ce manque de liberté, c’est ce qui m’a donné envie de faire mes propres séries moi-même.
Mais alors, qu’est-ce qui vous a amené vers les mangas ?
Quand j’ai commencé à dessiner mes petites BD, sous format comics, j’ai rapidement été bloquée. Je voulais faire quelque chose de très dynamique, et non statique. Et à un moment donné, je suis tombée sur une petite BD avec le tome 15 de Naruto, je l’ai regardé et je me suis dit : c’est ça que je veux faire ! Je dessine en fait des mangas par nécessité, dans le sens où c’est le seul support qui me permet de m’exprimer comme je le souhaite, avec la liberté que je souhaite avoir. Dessiner du comics était plus facile que dessiner dans le registre manga. Le manga se propose sur un format noir et blanc voire dégradés de gris si on compte l’utilisation des trames. Il faut donc se creuser la tête à chaque case pour que, malgré ce handicap du quasi monochrome, les lecteurs puissent se représenter la couleur des vêtements, des cheveux, des yeux d’un personnage, celle des éléments du décor… Là où dans un comics, étant donné qu’on a un support d’office en couleurs, si je veux mettre du rouge pour un vêtement, je mets du rouge et c’est réglé !
Dans vos manga, on retrouve encore un aspect comic. Comment vous réussissez à garder ça ?
C’est l’encrage, ma formation d’encreuse de comics qui me permet de faire ça. Je remets ce que je faisais dans mes Batman à l’intérieur de mes mangas. D’ailleurs quand vous regardez Ishtar, la ville dans laquelle se passe Stray Dog et MortiCian, vous allez reconnaitre des plans de Gotham, avec les dirigeables, les néons, parce que mon temps d’encreuse sur Batman ressurgit. Le fait que mes intrigues se passent la nuit, ça vient de Batman aussi !
D’après vous, qu’est-ce qui fait un bon manga français ?
Le manga c’est un style de BD avec ses règles et ses codes. A partir du moment où vous suivez ses règles et ses codes, vous faites un manga. Après, ce qui va jouer vraiment, et ça joue aussi pour les auteurs japonais, c’est la qualité que vous mettez dans vos séries. J’espère que c’est le cas pour moi, mais si on veut faire de son mieux et garder sa patte, il ne faut pas « faire comme » (les mangakas japonais). Je retrouve ça chez beaucoup de jeunes auteurs français qui font du manga.
On a beaucoup cette sensation où on se dit « les gars ils ont voulu faire du manga, du coup ils veulent s’approprier les codes mais il n’y a pas leur propre identité dedans ». C’est peut-être ça qui manque. Les Japonais écrivent avec leur sensibilité mais j’ai l’impression que les jeunes auteurs français cherchent à s’en inspirer, sauf qu’ils oublient de mettre leur propre identité. C’est pour ça qu’on a parfois l’impression que c’est stéréotypé, froid, académique.
De votre côté, comment vous faites pour vous émanciper de cet « esprit » japonais ?
Moi je ne suis jamais demandée si je dessinais comme un japonais, j’en ai rien à faire ! Quand je fais une série, je le fais comme VanRah et pas comme un mangaka japonais. Des auteurs comme Reno Lemaire, Tony Valente marchent très bien parce que justement, il y a leur sensibilité, leur identité qui ressort dans leur travail et qu’ils s’en foutent de ce qu’on pense d’eux. Le fait que beaucoup d’auteurs français travaillent avec les même logiciels, ça n’aide pas à se forger sa propre identité aussi.
Quel message vous donneriez à quelqu’un qui veut faire son propre manga ?
Arrêtez de faire du fanart déjà, faites votre propre style ! Vautre-toi au début c’est pas grave, plus tu pratiques plus tu progresses ! Le plus tôt possible, ayez votre style auteur, c’est ça qui fait la différence. Il n’y a pas de mauvais trait, prenez ce que vous avez à apprendre, n’essayez pas de ressembler à tel ou tel chose, créez votre propre histoire. Quand un éditeur vous dit non, il faut comprendre pourquoi, qu’il vous dise ce qui ne va pas pour que vous puissiez vous améliorer. Je pense aussi qu’il ne faut pas hésiter à recevoir les critiques des (futurs) lecteurs, eux aussi ont toujours des avis qui permettent d’améliorer notre histoire, nos personnages. Je poste toujours mes BD, leur brouillon en ligne et en fonction des réactions, des critiques, je vois les points d’amélioration.
Quelle est la suite de vos projets ?
Alors il y a le 6ème tome de Stray Dog qui sort le 12 octobre. Je travaille aussi sur la suite d’Ayakashi et son 3ème tome. Il y a aussi NeverEnd qui va arriver dans pas très longtemps et un nouveau projet, totalement hors des sentiers battus que je présenterai bientôt ! En tout cas, ce sera quelque chose de très différent de ce que j’ai fait jusqu’à présent !