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Interview : Otaku no Dera devient l’une des plus grandes librairies spécialisées de l’Ouest

  • Shima 

Il y a 14 ans, à Nantes, naissait la librairie Otaku no Dera dans une petite rue du centre ville. Demain, samedi 17 septembre, la librairie déménage sur l’une des place les plus prestigieuses de la ville et devient l’une des plus grandes de l’ouest avec 300m2 de surface sur deux niveaux ! L’inauguration se fera en grandes pompes avec des invités et exclusivités !

Nous serons bien évidemment présents pour vous partager cette inauguration ! Nous aurons notamment une exclusivité sur la prochaine licence du fabriquant de figurines en résine Kitsune ! Il y aura également une animation Gundam avec le youtubeur Storm Curious Adventure et une exposition du travail sur bois de Tom Wood.

Cliente depuis 13 ans, j’ai tenu à vous partager cette grande ascension de la boutique. Je vous propose aujourd’hui une interview d’Anthony, le patron et créateur de la boutique. Nous avons discuté de son parcours, du métier de libraire, et de l’évolution du manga en France.

Otaku no Dera
Devanture de l’ancien magasin. Bannière par Romain Huet, mangaka français, auteur de yggdrasil sentai

Interview Anthony Leseine, créateur d’Otaku no Dera

Partie 1 : La naissance et l’ascension d’Otaku no Dera

Bonjour, pourrais-tu te présenter en quelques mot ?

Je m’appelle Leseine Anthony, 40 ans (malheureusement). J’ai ouvert Otaku no Dera en 2008, donc ça fait 14 ans maintenant et on a la chance que ça marche donc il est temps pour nous de passer au niveau supérieur.

Comment est née la librairie ? Le parcours de création n’a pas été compliqué il y a 14 ans ?

Si, car le manga ce n’était pas du tout ce que c’est à l’heure actuelle. Déjà à l’heure actuelle il faut encore faire des pieds et des mains pour pouvoir ouvrir, aller draguer les banques et tout ça… Donc il y a 14 ans c’était quasiment inconcevable. Ça a été compliqué. Il y a eu des années très compliquées et puis à force de persévérance on arrive à faire sa place et à prouver qu’on avait raison. Ça fait plaisir.

Tu as débuté tout seul, au fur et à mesure l’équipe s’est étoffée jusqu’à aujourd’hui où vous êtes maintenant nombreux. Combien êtes-vous en tout ?

Ils sont 4 à Brest et 8 à Nantes. On va sûrement étoffer car 300m2 à 8 ca va être un peu compliqué mais on attend de passer quelques jours pour voir comment ça va se passer.

Après 14 ans dans une boutique de 45m2 à essayer de pousser les murs pour proposer toujours plus de mangas et goodies, vous allez ouvrir un magasin spécialisé de 300m2 sur l’une des place les plus prestigieuse de Nantes. Comment est née cette opportunité ?

Ça fait 1 an et demi qu’on cherche. On devait au début avoir le local Air France qui est juste à côté (du nouvel emplacement), acté, presque signé, mais au dernier moment, on ne sait pas trop pourquoi mais le propriétaire s’est retiré et a retiré le local de la location. Du coup on est repartis en quête et on a réussi à trouver ce local, encore mieux d’ailleurs, avec étage, et encore plus impressionnant que le précédent. Et sur la plus belle place de la ville, donc on ne peut plus me dire qu’on ne m’avait pas vu. (ndlr : la boutique était dans une petite rue du centre de Nantes).

L’ascension est folle, mais méritée. Vous devenez l’une des librairies spécialisées les plus grandes de l’ouest. Vous devez ressentir un sentiment de consécration après toutes ces années de travail passionné !

Ouais alors ça fait aussi un peu peur parce qu’on passe de 45 à 300m2. Mais là pour le coup on va pouvoir montrer tout ce qu’on veut, faire les agencements qu’on veut, faire des mises en avant de produits qui seront super. Parce que là, tu le sais personnellement quand tu viens à la boutique, c’est plus possible. Déjà c’est plus possible de faire la queue, parce que là on se rapproche de l’hiver. Et puis c’est plus possible, 45m2. On est obligés de limiter à 12 personnes dans le magasin pour pas être étouffés.

Les gens comprennent pas du coup puisqu’il n’y a plus de jauge, mais on fait ça quand il y a trop de monde. Donc là on va pouvoir respirer et je suis convaincu que le meilleur choix en ce moment, au vu de ce qu’on a traversé avec le COVID, c’est d’avoir de la place. Que les gens puissent circuler, qu’ils aient pas l’impression d’être étouffés.

Du nouveau contenu est prévu dans cette nouvelle grande boutique ?

Bien sûr mais c’est secret ! Tu verras ça samedi!

Vous avez déjà ouvert une boutique à Brest, d’autres sont-elles prévues ?

C’est prévu mais c’est secret.

Otaku no Dera

Partie 2 : Le métier de libraire

J’aimerais maintenant aborder le métier de libraire à proprement parler. Concrètement, à quoi ressemble une journée type ?

Moi ma journée type ne ressemble plus du tout à ce que j’avais en magasin. Donc on va rester sur le magasin. Tu as les réceptions le matin avec soit les nouveautés à mettre en rayon, soit le réapprovisionnement. Parce qu’il faut bien remplir tout ce que les gens ont eu la gentillesse de bien vouloir nous acheter.

Après comme tout, être le plus disponible avec les clients parce que c’est bien beau d’avoir des trucs à ranger mais c’est bien aussi d’avoir du temps à consacrer.

Je sais que ça n’a vraiment pas été simple depuis 2 ans parce qu’on a pas de place. Parce que les gens sont très nombreux. Parce qu’on a passé un an et demi avec cette jauge insupportable où on était obligés de gentiment mettre la pression à ceux qui traînaient un petit peu et c’est quelque chose qu’on a toujours détesté faire. Mais malheureusement quand t’as 25 personnes qui font la queue et qu’il pleut ou qu’il fait froid, il faut presser un peu le pas. On a été obligés de faire ça, donc on a eu quelques accrochages, mais dans 95% des cas les gens ont été hyper compréhensifs. Donc on essaye vraiment d’accueillir tout le monde, de prendre du temps, même si c’est pas toujours simple. La priorité de toute façon c’est ça.

Donc une journée type, c’est réception, mise en rayon et puis s’occuper un maximum des gens, du confort des gens et ne pas leur conseiller n’importe quoi ou n’importe quel titre qui est soi-disant le blockbuster du moment, mais qui s’avère être une daube noyée au milieu d’autres titres qui lui ressemblent déjà et qui sont peut-être mieux. Il y a d’autres trucs à vendre.

C’est quelque chose que j’ai toujours beaucoup apprécié cette disponibilité, ces bons conseils.

On essaye. Ce n’est pas simple, même maintenant parce qu’on n’a pas de jauge mais on a toujours les gens qui font la queue et là on a maintenant l’incompréhension du fait qu’il n’y a plus de jauge obligatoire. On essaye de l’expliquer, on fait ça parce que c’est plus possible, vous êtes trop nombreux. Déjà tu fais rentrer allez, une jauge de 12 personnes mais des fois on monte à 15-16 parce que des fois t’as des familles avec des enfants en bas âge, donc tu ne vas pas commencer casser les familles. Plus le personnel, qui est dedans, on est déjà 25 dans le magasin. C’est plus possible de se déplacer, t’es obligé d’être collé à ton voisin, c’est insupportable, donc on a hâte.

Comment se passent les relations avec les éditeurs ? Notamment en ce qui concerne les évènements comme les dédicaces ?

C’est quelque chose qu’on a toujours fait un tout petit peu. Moi ce qui me pose problème, c’est pas de faire les choses, c’est de bien faire les choses. Si c’est accepter des dédicaces pour mettre l’auteur sur un coin de table dans un coin de magasin, que le pauvre est noyé, qu’il n’a pas la place de respirer, ça ne m’intéresse pas. Ça n’a aucun intérêt.

Les 2-3 fois où on l’a fait – on a eu la chance d’avoir Tetsuya Tsutsui qui restera mon meilleur souvenir, c’est un monsieur que j’estime énormément pour son travail-; On a eu la chance qu’il fasse beau et on a eu pu mettre un barnum dehors, on a fait ça en extérieur et c’était génial.

Là par contre on change de mesure, 300m2, je peux t’assurer que là notre relation avec les éditeurs, en terme de poids n’est pas la même. On a des tas et des tas et des tas de trucs sur le feu, des tas de dédicaces qui vont arriver. Beaucoup de choses qui ont été repoussées à l’année prochaine parce que bon, on sort de jauges, de COVID… Mais il y a beaucoup de choses, beaucoup beaucoup de trucs qui vont arriver et vous allez voir beaucoup de monde en dédicaces parce que maintenant on peut le faire, je n’aurai pas honte de le faire.

Otaku no dera
Dédicace de Tetsuya Tsutsui (une Shima s’est glissée dans la seconde image ^^’)
As-tu constaté une baisse de fréquentation après le COVID ?

Non, au contraire. Je pense que le COVID pour les libraires ça a été dans la grande majorité des cas salvateur. En tout cas pour le manga ça a été vraiment un coup de fouet gigantesque. Alors après on a eu le boost pass culture. On met tout le dos du pass culture mais ce n’est pas vrai. Ça a a été un boost indéniable mais ça perdure. Alors là ça se calme un peu car on sort des vacances et à Nantes c’est très touristique et j’ai l’impression que les gens ont bien compris que samedi 17 ça ouvrait donc ça se calme gentiment et tout le monde commence mettre ses sous de côté, ça fait plaisir.

Y a-t-il un parcours spécial à suivre de préférence pour travailler en librairie ?

Il y a le parcours « Métiers du livre », qui permet de devenir libraire, mais pas que, travailler en bibliothèque, etc… Sinon il y a le parcours vente, et après on apprend sur le tas.

As-tu un conseil pour quelqu’un qui voudrait en faire son métier ?

Ça demande énormément de travail et de motivation.

Ma dernière question de cette partie concerne la concurrence. On parle beaucoup des grandes enseignes physiques ou en ligne. Il y a aussi les autres librairies. Faut-il toujours essayer de se renouveler un peu pour rester dans la course ou le public est plutôt fidèle ?

Alors le public qu’on a il est fidèle. Mais c’est un public majoritairement jeune, mais de base, moi le premier quand j’avais cet âge là, le public manga est assez volage. Parce qu’on est accros à la nouveauté et c’est celui qui aura la nouveauté qui aura la primeur de l’achat.

Mais on a la chance d’avoir une base fan, on va dire ça comme ça, qui est vraiment hyper importante, avec des gens, par exemple comme toi que j’ai vu grandir (ndlr : et oui… jétais au lycée la 1ère fois que j’ai franchi la porte de la librairie !). J’ai des gamins que j’ai connu, ils avaient 8 ans, maintenant ils ont 20 ans, même 25-30 et ils ont eux-mêmes des gamins. Donc maintenant j’ai les gamins de gamins que j’avais il y a 14 ans. Il y a côté un peu famille. Il y a un vrai niveau de fidélité mais il y a toujours ce côté un peu nouveauté.

Quand la nouveauté sort, il la faut. Donc quand t’as ton distributeur qui te sort « il y a un problème de livraison, tu l’auras dans 3 jours », tu sais déjà que t’as perdu d’avance. Et puis après oui, on peut parler d’Amazon, mais c’est pas toujours un vrai problème pour moi. Il y a aussi les grandes surfaces qui sont aussi vachement présentes et puis tous les confrères. À Nantes il y a énormément de librairies, donc faut pas se reposer sur ses lauriers, toujours être dans l’action, proposer des nouveaux trucs, et puis de toute façon faire son taff, tout simplement. Bien accueillir les gens, faire tes conseils sans essayer de leur vendre tout et n’importe quoi.

C’est important ça.

J’ai encore l’exemple, pour des cartes Pokémon. Il y a eu une grosse pénurie, c’est un peu moins le cas maintenant mais il y a eu une grosse pénurie l’année dernière. On a fait beaucoup de cartes japonaises. On a commencé à 3,50, puis c’est passé à 4, à 4,50, puis à 5€. Alors c’est pas que je veux m’acheter une Porsche à la fin de l’année, c’est que le prix d’achat a énormément augmenté. J’avais toujours dit aux gens « Quand on arrivera à 5€, j’arrêterai ». Parce que un paquet c’est 5 cartes, ça fait déjà 1€ la carte !

Personnellement je trouve ça élevé et je mettrais pas plus dans un paquet. Il y a eu tout un moment où les gens se plaignaient parce qu’on n’avait plus de cartes, mais je l’avais dit, on avait passé les 5€, je le fais pas. Je fais pas pour faire en fait. Ça se serait vendu, mais c’est pas comme ça qu’on travaille. Là on a pu en avoir de nouveau à des prix à 5€ donc on va en ravoir. Mais on vend pas pour vendre, on vend parce qu’on a plaisir à le faire et qu’on trouve que les prix qu’on fait et les produits qu’on vend valent le coup.

Partie 3 : L’évolution du manga en France

Ma dernière partie portera sur l’évolution du manga dans la société ne serait-ce que ces dernières 14 années. Tu l’as vue et vécue cette évolution. Le public a-t-il changé par rapport aux débuts de la boutique ?

Déjà il a vieilli ! Le public a vieilli de base parce que ceux qui lisaient du manga il y a une dizaine d’années, il y en a beaucoup qui ont arrêté parce que le boulot, à la fin des études t’as des tas de trucs chronophages comme les mémoires, les examens… Donc on perd plein de gens à ce moment-là. Après tu rentres dans la vie active, donc nouvelle vie, nouvelles habitudes. Ça change drastiquement la façon de gérer son planning.

Après t’as des enfants, alors ça c’est encore une autre histoire, c’est extrêmement chronophage. Et une fois que tu as passé tout ça, tu as ces gens qui reviennent. Ils reviennent avec des demandes un peu différentes, c’est à dire, on ne veut plus de séries qui font 40 tomes, qui s’étalent sur 15 ans. On veut des titres plus courts, plus adultes. Donc on a toujours le public jeune qui veut du shônen, des trucs d’action, ultra nerveux, ultra chiadé, avec des scénars qui valent vraiment le détour.

Mais on a énormément gagné en maturité avec un public qui a eu un moment de mou car la vie fait que c’est pas simple, faut gérer tous ces trucs là. Mais une fois que t’arrives à te poser, tu vois ces gens qui reviennent. Ça fait 5-6 ans que tu ne les a pas vu, ils disent « ouais, ça fait un moment que je ne suis pas venu, mais j’aimerais bien relire un petit truc, par contre court parce que j’ai plus le temps ». On amène ces gens-là vers des titres plus matures, des titres plus courts.

Puis après ces gens-là on des enfants, les enfants arrivent à 5-6 ans, c’est leurs premières lectures. Il y a vraiment un côté famille qui est vraiment marqué et que j’ai beaucoup vécu pendant 14 ans. Surtout quand t’as des gens que t’as connu qui avaient une dizaine d’années et qui maintenant ont 24-25 et qui sont toujours là ça fait plaisir.

Au-delà de l’aspect libraire, que penses tu de cette évolution du manga en France ?

C’est entre guillemets « inévitable ». On est une nation manga. Ça a toujours été. On est déjà une nation BD à la base.

La BD ça reste toujours le top vente. Tu sors un Astérix ou un Tintin ou un Lucky Luke, ça reste toujours des trucs numéros 1 en terme de vente. Mais le manga a ce truc de plus nerveux, plus jeune, plus rentre-dedans, plus vif que la BD qui a toujours ce côté un peu classique. Les cases sont toujours très droites, c’est toujours très bien ordonné. Et puis c’est pas le même budget, faut pas se le cacher. Même si un manga c’est 7€, je sais qu’on va me dire « oui mais il y en a beaucoup plus qu’une BD », par tome le budget est quand même pas le même. Pour 7€ t’as 300 pages, pour une BD c’est pas le même tarif.

Et puis après un truc qui est indéniable, c’est qu’il y a eu le covid et qu’il y a eu Netflix et que Netflix ça a été un tremplin incroyable pour tout ce qui est anime. Parce que déjà les gamins fallait les occuper et que déjà qu’à la base ils consommaient du manga… On l’a vu. Dès qu’il y a un truc qui sort sur Netflix tu as un rebond net en librairies. Le streaming, légal bien sûr, ça a aussi un poids conséquent. C’est indéniable.

As-tu quelque chose à rajouter, un mot de la fin ?

C’est quelque chose que j’ai pas toujours forcément l’occasion de dire, mais j’aimerais bien remercier les gens. Parce qu’on ne peut pas réussir tout ce qu’on arrive à faire tout seul. Si je suis tout seul dans le magasin, pour acheter les bouquins, ça sert à rien.

Ce qu’il va se passer samedi 17 avec l’ouverture et tous les trucs qu’on a prévu, c’est pas que pour nous en fait. C’est aussi pour tous les gens qui nous ont accompagné depuis 15 ans, tous les nouveaux qu’on va avoir. J’espère qu’à Royal, on va avoir plein de nouvelles têtes. Et que la fête qu’on va faire ce sera pour tout le monde. Ce serait bien que tout le monde soit là, que ce soit cool. On part sur une deuxième étape et avec tout ce que j’ai en tête, je pense qu’on va bien rigoler !

Merci beaucoup de nous avoir accordé du temps dans cette folle période de pré-ouverture ! On sera bien évidemment présents le 17 pour profiter et partager l’inauguration !

Otaku no Dera

Ouverture de la nouvelle version d’Otaku no Dera samedi 17 septembre !

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