Après Frieren, je vous donne mon avis sur le tome 1 de Darwin’s Incident, le lauréat de l’édition 2022 du prix Manga Taishō !
L’humain ne descend pas du singe…!
Darwin’s Incident, le lauréat du prix Manga Taisho 2022… Autant dire que les éditions Kana nous présentent là une très belle prise ! L’édition proposée est dans les standards du genre. Un papier ordinaire, sans page couleur. Néanmoins, j’apprécie le fait d’avoir gardé la couverture originale. Le titre est discret sans être effacé et nous laisse le plaisir d’admirer la composition de l’illustration.
Parlons-en de cette couverture ! Elle tape vraiment à l’oeil je trouve. Charlie, l’humanzee, en gros plan avec un smartphone à la main; avec en arrière plan le One World Trade Center et le Lower Manhattan.
En plus de poser directement le cadre spatio-temporel, cela à quelque chose d’intrigant non ?
Et quand on s’attarde un peu plus, on peut discerner les lettres A, T, C et G sur son t-shirt. Si vous ne savez pas ce que c’est, il s’agit de 4 des nucléotides qui entrent dans la composition de notre ADN. Adénine, Thymine, Cytosine et Guanine. La « base » (pardonnez-moi le jeu de mot scientifique) de la théorie neutraliste de l’évolution. C’est fin, subtil, j’ai trouvé l’idée géniale. Elle nous donne tout de suite un aperçu de la teinte « scientifique » de la série.
La présence de la Statue de la Liberté est aussi très intéressante. Quoi de plus représentatif que cet édifice pour amener l’idée d’une envie de liberté ? Je vais peut-être un peu loin, mais on peut aussi y voir un symbole de l’intelligence humaine, de la capacité humaine à construire, à créer…?
Synopsis:
Entre l’Homme et l’animal, Charlie incarne le changement malgré lui…! Des activistes armés militant sous le nom d’Alliance de libération des animaux (ALA) ont pris d’assaut un institut de recherche biologique dans lequel était détenue une femelle chimpanzé sur le point de mettre bas. Curieusement, cette dernière a donné naissance à un humanzee, un hybride mi-humain mi chimpanzé, qui est baptisé Charlie.
Quinze ans ont passé. Charlie, élevé par des parents humains, doit à présent entrer au lycée et il y fait la connaissance d’une jeune fille, Lucy. Mais les activistes de l’ALA, devenus plus extrémistes que jamais, projettent d’amener Charlie à rallier leur groupe terroriste.
Darwin’s Incident : l’humain est un primate parmi tant d’autres !
Darwin’s Incident c’est avant tout un postulat atypique. On suit l’histoire de Charlie, un hybride mi-humain, mi-chimpanzé. Unique au monde, l’humanzee, comme il est appelé, suscite les convoitises de l’Alliance de libération des animaux (ALA). L’organisation extrémiste cherche à faire entendre la voix des animaux opprimés et maltraités par l’humain. Et ses membres, en particulier un certain Max, pensent pouvoir y parvenir en recrutant Charlie.
Sans difficulté, le récit parvient à nous embarquer. C’est notamment grâce à un rythme bien maîtrisé, alternant entre des phases calmes et des séquences d’action. Mais surtout grâce à une narration brillante qui réussit à nous surprendre !
Le personnage de Charlie est présenté comme un adolescent très intelligent, mais qui a moins de mal à sociabiliser avec les animaux qu’avec les humains. De mon point de vue, on touche là un des petits bémols de ce premier tome: je trouve que les portraits des personnages manquent de finesse. Ils m’ont semblé trop archétypaux. Cependant, cela n’empêche pas de s’attacher à eux, ou de les détester pour certains. Également, les situations d’injustice dans lesquelles se retrouvent Charlie sont vectrices d’émotions et font mouche !
Ce tome 1 pose donc des bases solides. On a une bonne idée du contexte dans lequel se déroulera l’histoire, et des intrigues de fond autour de l’ALA. Mais on se demande encore ce qui motivera Charlie, quel est son but personnel ? Il aspire à plus de liberté, à découvrir le monde et l’espèce humaine mais… N’est-ce pas un peu léger comme fil conducteur ? J’espère que la suite donnera à Charlie une quête digne de ce nom !
Scénario : 3,5/5
Avec Darwin’s Incident, Shun Umezawa nous propose des visuels très aboutis. Il faut dire que l’auteur n’en est pas à son coup d’essai. En effet, si l’oeuvre est là première que l’on découvre en France, l’auteur lui a déjà plus de dix années de carrière derrière lui !
On ressent cette maîtrise dans la gestion des arrières plans. Les décors sont détaillés, précis lorsqu’il est nécessaire de situer l’action. Mais ils s’effacent au profit des personnages afin de mettre en avant leurs émotions. L’expressivité des personnages est d’ailleurs un des gros points forts de l’oeuvre. En un coup d’oeil, on est capable de savoir ce qu’ils ressentent ! Chaque expression de visage fait l’objet d’un travail soigné. Finalement, il y a beaucoup de non-dit qui passe par le dessin.
En ce qui concerne les mises en scène, là encore, on sent l’expérience de l’auteur. Certains plans nous font frissonner de malaise (le regard de Charlie ci-dessus, ou les apparitions de Max), quand d’autres viennent nous couper le souffle, ou encore nous prendre par les sentiments.
La lecture est fluide, ralentissant parfois sur des scènes assez poétique, presque contemplatives. Mais le découpage se révèle être dynamique et incisif dans les scènes d’action ! Un attentat à la bombe, une tentative d’enlèvement et d’autres choses encore. C’était d’ailleurs une agréable surprise de découvrir cette « accélération » dans l’histoire. On ne peut que saluer la maestria de Shun Umezawa.
Le seul reproche que je pourrais faire à l’auteur, c’est sur sa façon de dessiner les nez de profil. Ils sont toujours beaucoup trop long. C’est quelque chose qui m’a trop perturbé pour que je ne le mentionne pas !
Visuels : 4/5
Évidemment, s’il y a un point sur lequel on ne peut pas faire l’impasse, ce sont les thématiques de Darwin’s Incident. On retrouve certaines problématiques « courantes ». La quête d’identité, le regard des autres, l‘accueil de la différence, la tolérance, le militantisme. Tout cela sous un jour assez nouveau puisque traité avec le regard acerbe et pragmatique de l’humanzee qu’est Charlie.
Ainsi, c’est finalement la condition humaine elle-même qui devient une thématique centrale de l’oeuvre. On est poussé à la réflexion concernant notre anthropocentrisme latent et récalcitrant. L’humain est-il à part ou n’est-il qu’un animal, un mammifère parmi d’autres…?
Cependant c’est surtout la thématique « vegan » de l’oeuvre qui est atypique. En plus d’être originale, c’est un sujet pleinement ancré dans le contexte sociétal actuel. L’auteur fait l’effort de mettre en évidence les différents points de vue. Il multiplie les approches pour dresser un portrait le plus complet possible. Il oppose alors, assez intelligemment, les gens ordinaires, les personnes véganes, et les activistes extrémistes. Cela peut faire sourire au début, mais c’est bien souvent ce qui arrive quand on fait d’un choix personnel une idéologie à partager.
Mais le problème de ces problématiques actuelles, c’est qu’elles sont « vives », et qu’il est parfois difficile de les aborder convenablement. Ainsi, si Shun Umezawa tente de contraindre le sujet de manière objective et sans trop prendre parti, c’est parfois un peu maladroit. Et on peut y sentir un certain ton moralisateur.
Thématiques : 4/5
Enfin, il y a un point qui a particulièrement touché le professeur de SVT que je suis… C’est l’aspect scientifique de Darwin’s Incident. J’ai vraiment apprécié la démarche prise par l’oeuvre au travers du personnage de Charlie. Il a cet oeil « nouveau », avide de connaissance et ce faisant, il adopte une démarche proche du naturalisme scientifique. Il observe ce qui l’entoure, il analyse, il expérimente. Comme il le dit à Lucy « J’ai lu des livres et j’ai vadrouillé sur le net certes… Mais ça ne revenait qu’à vous observer de loin ». De mon point de vue, c’est de cette manière que doit être abordée la science.
Au delà de ça, j’ai été assez surpris du travail de l’auteur au niveau scientifique. Le détail qui m’a le plus frappé est l’utilisation du terme « hétérosis » ou vigueur hybride. Comme expliqué dans le manga, il s’agit de l’augmentation des capacités d’un hybride par rapport à ses parents. En plus d’être crédible scientifiquement, c’est utilisé de manière très pertinente par l’oeuvre !
C’est un souci de réalisme que l’on retrouve aussi dans la représentation même de Charlie. C’est un hybride crédible visuellement. Il possède la face prognathe des chimpanzé. Il montre une démarche entre la bipédie humaine et la marche « knuckles » des chimpanzé. Je pense que l’auteur à fait un vrai effort de documentation et il mérite d’être salué.
Le seul petit bémol que je ferai par rapport à l’oeuvre, c’est le fait que Charlie soit unique. 15 ans ont passé et pourtant il n’y a jamais eu d’autre hybride que lui…? Une fois qu’une découverte est faite, il est d’usage de répéter l’expérience pour entériner la connaissance…! On dira que c’est la magie de la fiction.
Sur un ton moins sérieux, j’ai beaucoup aimé les traits d’humour de l’oeuvre. D’abord il y a le prénom de Lucy, la seule amie de Charlie. Un prénom qui renvoie évidemment au premier squelette fossile d’australopithèque presque complet retrouvé. Et ensuite le fait que Ozzy considère Charlie comme un « type à moitié primate » alors que tous deux sont… Des primates à part entière. Cela m’a fait sourire.
Pour terminer, je saluerai le travail de Frédéric Malet, car il nous propose là une excellente traduction !
Aspect scientifique : 5/5
Darwin’s Incident, l’humain ne descend pas du singe…!
Darwin’s Incident était un titre que j’attendais avec impatience. Il faut dire qu’avec une couverture comme celle-là, ça a de quoi intriguer non ?
Lauréat du Manga Taishō 2022, après Frieren, j’étais curieux de découvrir ce qu’il valait ! Et je reconnais ne pas avoir été déçu ! C’était génial à lire !
L’histoire que nous livre Shun Umezawa est atypique. Dans son postulat déjà : le récit d’un humanzee, un hybride humain-chimpanzé. Mais aussi dans ses thématiques et dans la façon de les aborder.
Il est question de véganisme, d’extrémisme, mais aussi d’acceptation de la différence, et même de notre anthropocentrisme latent et récalcitrant.
C’est donc un seinen qui pousse à la réflexion. Mais pas que ! Les amateurs d’action et de rythme effréné peuvent se rassurer. On a droit à une attaque à la bombe, une tentative d’enlèvement et d’autres joyeusetés trépidantes.
Il se dégage de l’oeuvre une belle maîtrise. L’histoire est bien rythmée, les mises en scènes sont recherchées, le trait est expressif, les décors sont travaillés. C’est un plaisir à lire !
Le petit plus, qui a ravi le prof de SVT que je suis, c’est l’aspect scientifique de l’oeuvre.
Grâce à un travail sérieux de documentation (je pense), il est parfaitement plausible. Des notions scientifiques réelles sont utilisées, et servent le récit de manière pertinente.
Le design de Charlie est parfaitement crédible. Face prognathe, démarche entre la bipédie et la marche knuckle… Il pourrait être réel !
Et il y a même des traits d’humour inspirés, en lien avec la science. J’ai adoré.
Et n’oubliez pas que l’humain est un primate, et qu’il ne descend pas du singe…!
Note globale: 16,5/20
Je sais que ça peut être encore mieux, notamment pour le personnage de Charlie!