J’attendais avec impatience la sortie de Léviathan, la nouvelle création originale de Ki-oon… J’ai pu la lire, et voici mon avis!
Léviathan: On embarque pour les confins de l’espace..!
Monstre ou humain… Qui sommeille au coeur des ténèbres?
Au fin fond de la galaxie, le Léviathan, un immense vaisseau spatial, flotte à la dérive. Quand des pilleurs d’épaves s’y introduisent, ils découvrent le journal intime d’un collégien, Kazuma, relatant les événements qui ont eu lieu dans les entrailles du navire… À sa lecture, l’évidence s’impose : un survivant de la catastrophe se cache quelque part dans le dédale des ruines !
Des années plus tôt, le jeune Kazuma est en plein voyage scolaire vers la Terre. La fête tourne court quand des explosions d’origine inconnue détruisent une partie de la coque du vaisseau ! Voilà les passagers immobilisés au milieu de nulle part… L’adolescent et sa camarade Futaba surprennent alors une conversation entre leur professeur et un robot de maintenance : les réserves d’oxygène sont insuffisantes pour tenir jusqu’à l’arrivée des secours… Le seul espoir de survie est un caisson de cryogénisation niché au cœur du géant de métal. Or, il ne peut contenir qu’une personne… Malheureusement pour les élèves, l’enseignant comprend vite qu’il a été entendu. C’est le début d’une lutte sanglante pour préserver le secret !
Dans un décor angoissant dépeint avec une minutie extrême, Léviathan nous emporte dans un voyage au bout de l’enfer. Comment garder son humanité dans l’étendue glacée de l’espace?
Mot de l’éditeur.
Que dire de l’édition?
C’est la seconde création originale des éditions Ki-oon qu’il m’ait été donnée de lire, la première étant Tsugumi Project. Pour cette nouvelle sortie, Ki-oon a vu les choses en grand, littéralement. En effet, ce premier tome est au format 15 x 21 cm. Il est donc plus grand qu’un tome de manga classique. À l’intérieur, on retrouve 4 pages couleurs. L’ensemble est de bonne qualité, avec un papier épais, glacé pour les pages couleurs et une impression qui ne bave pas.
Petit plus de l’ouvrage: les tranches (de tête, de gouttière et de queue) sont colorées en noir. Ça n’a l’air de rien, mais personnellement je trouve que c’est du plus bel effet. Ce choix confère un aspect un peu inquiétant au livre; comme un avant-goût de ce qu’on va y lire.
Ce premier tome est disponible au prix de 9,95€ depuis le 6 janvier 2022!
Mon collègue Natchuu vous présente également ce titre en vidéo !
On passe à la lecture!
La première chose à dire, c’est que Léviathan, ce n’est pas une, mais deux histoires!
La première, chronologiquement parlant, est celle de Kazuma. Kazuma est collégien, monté à bord du vaisseau spatial Léviathan avec le reste de sa classe pour un voyage scolaire à destination des colonies de Proxima du Centaure. Un peu marginal, le garçon est victime de harcèlement et de violence de la part de ses camarades. De quoi susciter très rapidement notre empathie évidemment.
La deuxième est celle de pilleurs d’épaves. Ces derniers, bien des années plus tard, retrouvent le vaisseau spatial, ou plutôt ce qu’il en reste. Car oui… Ce gigantesque vaisseau, à l’allure de bateau de croisière qui plus est, n’arrivera jamais à sa destination. Une sorte de Titanic de l’espace, avec à la place d’un iceberg, une mystérieuse explosion et comme par hasard… Avec encore moins de modules de sauvetages! Ça paraît complètement aberrant, mais l’excès de confiance humain n’est plus à prouver, et m’est avis qu’il empirera avec le temps.
C’est donc un double récit que nous propose de suivre Shiro Kuroi avec pour lieu commun, ce mystérieux vaisseau spatial. Un exercice ardu, mais qu’il réussit bien à mon sens. Pour faire communiquer ses deux intrigues, l’auteur introduit le carnet de bord de Kazuma. Celui-ci consigne les évènements ayant eu lieu à bord, et permet aux pilleurs d’en apprendre plus sur ce qu’il s’est passé. J’ai trouvé ce choix très intéressant, et intelligent finalement. Il permet d’ailleurs de s’affranchir assez facilement des transitions passé/présent qui alourdissent souvent le récit
Le décor est posé, et l’intrigue aussi: une seule personne a potentiellement survécu à ce drame grâce à l’unique capsule de secours… Mais qui et comment? Et si elle a survécu… Est-elle toujours à bord? Ainsi, l’auteur lie également les deux intrigues, là encore je trouve cela plutôt pertinent.
Au fil des pages, du manga et du carnet de bord, on découvre les atrocités qui se sont déroulées à bord…!
Mon seul reproche serait que pour l’instant, on manque encore un peu de visibilité sur l’histoire: vers quoi va-t’on? Quels messages l’auteur veut-il faire passer?
Scénario: 4/5
Pour ce qui est du dessin, je dois dire que mon ressenti est bien moins enthousiaste. Le style réaliste de Shiro Kuroi est agréable. Il rappelle ce qu’on a pu voir dans la bande-dessinée de science-fiction. Le trait verse dans l’esthétique Metal Hurlant, et propose quelque chose de très détaillé. (Par ailleurs, l’histoire est proche de la ligne éditoriale du magazine).
Néanmoins, j’ai trouvé ce dessin inconstant. D’une page à l’autre on peut avoir des dessins magnifiques, qui n’ont presque pas besoin de dialogue pour nous transmettre une émotion; et des dessins moyens, avec des proportions étranges, et des expressions « vides ». Le décalage est troublant et, personnellement, m’a un peu gâché le plaisir de lecture. Pour autant, je ne peux pas dire que le dessin est mauvais, et il sert à merveille l’histoire et son atmosphère. Avec plus d’expérience, Shiro Kuroi pourrait nous offrir des planches à couper le souffle, à l’image des fulgurances que l’on peut retrouver dans ce tome.
Autre point en commun avec la bande-dessinée franco-belge, c’est le découpage. En effet, dans Léviathan le découpage est très rigide; les cases ne sont pas déformées comme on le voit habituellement en manga. Cela donne une impression de lenteur, un côté inflexible et oppressif. Quand on consomme exclusivement du manga, c’est quelque chose qui peut rebuter.
Dessin: 3/5
Qui dit thriller et huis-clos, dit forcément une attention particulière sur les personnages! Et sur ce point, Léviathan réussit parfaitement son pari. Chacun des personnages fait l’objet d’un traitement en bonne et due forme. J’ai d’ailleurs été frappé par la facilité de l’auteur à donner une consistance à ses personnages secondaires en très peu de cases.
En tant que personnage principal, Kazuma a droit à un portrait psychologique un peu plus approfondi évidemment. Et avec lui, Shiro Kuroi aborde plusieurs thématiques, notamment le rejet, le harcèlement, la manipulation et la quête de vérité. Y a-t’il réellement une place pour la transparence, pour la vérité quand on sait que personne ne pourra être sauvé? J’ai trouvé ça assez intéressant, bien qu’un peu « classique » dans le genre.
Mais avec le développement du second personnage principal qu’est Futaba, l’auteur apporte une dimension que j’ai beaucoup apprécié. Malgré le fait qu’il soit harcelé par ses camarades, Kazuma reste profondément altruiste; tout l’inverse de Futaba. Celle-ci est prête à tout pour survivre: à manipuler, à mentir, et ne reculera devant rien pour préserver son secret. Tuer, corrompre d’autres personnes et les amener à tuer. Elle est pleinement consciente de la situation et agit pour préserver sa vie. Elle ne semble pas avoir d’affect pour les autres passagers.
Cela m’a paru un peu étrange au début, puisqu’elle reste une collégienne! Pour l’instant donc, je reste un peu dubitatif face à ce personnage cruel et calculateur, même si je trouve cela très intéressant.
J’ai le sentiment que l’auteur veut explorer quelque chose d’assez sombre avec elle. Pour être totalement transparent, j’ai l’impression qu’il essaie de créer une évolution psychopathique au personnage. Si c’est vraiment ce que prévoit l’auteur, ça pourrait être exceptionnel! Dans le cas contraire, ce serait pour moi un faux pas; dans le sens où un enfant, même dans ce genre de situation, n’aurait pas un tel comportement.
Personnages: 4/5
Un dernier point, qui pour moi fait la force de ce premier tome, c’est son atmosphère. Léviathan nous est présenté comme un thriller à huis clos, et cela impose une ambiance particulière. Entre tensions, angoisses et secrets, ce premier tome est un condensé d’évènements qui font frissonner, qui mettent mal à l’aise.
La situation en elle-même est anxiogène: vous feriez quoi vous, si vous étiez en voyage et que vous saviez qu’une seule personne pouvait en réchapper? S’ajoute à ça le lieu, un immense vaisseau spatial à la dérive dans un espace infini, qui donnerait presque des vertiges.
Aucune communication avec l’extérieur, et la promesse d’une mort certaine. Les esprits s’échauffent et chacun lutte pour être l’élu. N’importe qui deviendrait crapuleux pour sa survie disait Lomepal, ici on en a un superbe exemple. L’atmosphère est on ne peut plus pesante et suffocante.
Par ailleurs, le dessin vient sublimer cette atmosphère si particulière. Le dédale qu’est le vaisseau est très bien suggéré par les arrières-plans. Les jeux d’ombres et d’encrage font que les planches transmettent de forts ressentis, à la limite de l’effrayant parfois.
La planche ci-dessus est pour moi un très bon exemple. Sans les ombres, on aurait deux jeunes enfants qui nous regardent dans les yeux. C’est déjà un peu dérangeant en soi; mais avec de telles ombres l’auteur nous propose un visuel étrange et malsain. Ces enfants n’ont rien d’humain, et comme le suggère l’encrage plus sombre; Futaba semble avoir des idées bien plus noires et cruelles que Kazuma. Comme si elle avait une longueur d’avance dans sa déshumanisation. L’image est forte: l’innocence même des enfants ne pourra pas survivre.
Atmosphère: 5/5
Léviathan, en résumé:
J’étais curieux de découvrir Léviathan, et j’avoue ne pas avoir été déçu. Au delà de l’ouvrage qui est vraiment beau, le récit est intéressant. Si l’univers relève de la science fiction, c’est bel et bien un thriller à huis clos que nous propose Shiro Kuroi avec ce premier tome. L’histoire est ambitieuse, nous proposant un double récit, entre deux époques mais avec un lieu commun. L’auteur s’en sort très bien et lie habilement toutes les intrigues.
Ce que je retiens, ce sont les personnages. En quelques cases, Shiro Kuroi leur donne une consistance, et on s’attache à eux ou non. Mais ce sont surtout Kazuma et Futaba, les protagonistes principaux qui portent le récit. Avec eux, ce sont tout un tas de thématiques qui sont abordées: le harcèlement, le rejet, la transparence, la lutte pour sa propre survie et ce qu’elle implique pour le groupe.
Et le gros point fort de l’oeuvre à mon avis, c’est l’atmosphère globale. Entre angoisse, tension et secrets; l’oeuvre nous plonge dans un univers où seule la cruauté finit par s’exprimer. Comble du malsain, elle met en scène des enfants et leur lente déshumanisation. Le tout est sublimé par un dessin hyper précis, tellement qu’il en devient parfois effrayant, oppressant au détour d’un gros plan sur un visage. Et oui, même si le trait a quelques lacunes parfois, il n’en reste pas moins très immersif et sert à merveille l’ambiance de ce tome 1. J’ai vraiment hâte d’en savoir plus…! Jusqu’où ira Futaba?
Qu’attendez-vous pour embarquer à bord de ce Titanic de l’espace?