Au début du mois de février, les Japonais célèbrent setsubun (節分, littéralement le dernier jour d’une saison selon le calendrier chinois). A cette occasion, la tradition veut qu’on lance des haricots pour faire fuir les mauvais esprits.
Une tradition venue de Chine
Le mot japonais setsubun (節分) symbolise le passage d’une saison à une autre selon le calendrier lunaire chinois. Une des significations du kanji 節 est le « nœud du bambou » qui sépare chaque section du tronc, chacune d’elle symbolisant une saison. Ainsi, setsubun signifie à l’origine les quatre changements de saison. La popularité du nouvel an chinois grandissant, son sens s’est progressivement transformé jusqu’à désigner uniquement le passage de l’hiver au printemps (立春. risshun, « premier jour du printemps »).
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, setsubun n’est pas un jour férié mais demeure très populaire au Japon. Il s’agit d’une tradition importée de Chine au VIIIème siècle durant l’ère Heian (平安時代, heian jidai, 794-1185) sous le nom de tsuina (追儺, littéralement la « chasse des mauvais esprits ») au sein de la cour impériale. En effet, avant le passage au calendrier grégorien durant l’ère Meiji, les rituels annuels japonais étaient basés sur le calendrier chinois. En Chine comme au Japon, beaucoup pensaient que les malheurs étaient causés par des démons (鬼, oni). Nombreux étaient ceux qui chassaient les mauvais esprits présents dans les maisons. C’est durant l’ère Meiji (明治時代, meiji jidai, 1868-1912) que ce rituel se popularise au Japon. L’ensemble de la population commence alors à le pratiquer.
« Oni wa soto ! Fuku wa uchi ! »
Faire entrer le bonheur dans la maison
Le rituel le plus courant durant setsubun est le mamemaki (豆まき, « lancer de haricots », mame 豆désignant des haricots grillés). Cette tradition consiste à lancer par la fenêtre de la maison des haricots en scandant la formule « Oni wa soto ! Fuku wa uchi ! » (鬼は外 ! 福は内 !) qui signifie « Les démons dehors ! Le bonheur dedans ! ». Dès l’origine de setsubun en Chine, les habitants avaient l’habitude de lancer des haricots pour faire fuir les mauvais esprits. En perpétuant la tradition, les Japonais célèbrent aujourd’hui l’arrivée du renouveau printanier. Ils tiennent à l’écart les mauvais esprits de l’année passée tout en attirant la bonne fortune pour la nouvelle année.
Une autre tradition veut que le chef de famille, généralement le père ou le toshi otoko (年男, un membre masculin de la famille né sous le même signe du zodiaque chinois que celui de l’année en cours, en l’occurrence le Tigre (虎, tora)) se déguise en démon tandis que les autres membres de la famille – généralement les enfants – lui jettent des haricots pour le faire fuir.
Poursuivre la célébration au temple
Le lancer de haricots s’effectue en famille et dans les temples et sanctuaires lors d’immenses cérémonies généralement les 2 et 3 février. Pour l’occasion, certains temples invitent même des célébrités pour lancer les haricots sur la foule. Chaque temple propose également aux spectateurs une tasse d’amazake (甘酒, un sake sucré peu alcoolisé). Les cérémonies les plus célèbres sont notamment celles du Senso-ji à Tokyo et du Rozan-ji à Kyoto.
Les haricots lancés pour setsubun sont appelés fukumame (福豆, « haricots porte-bonheur »). Une fois lancés, la tradition veut que les Japonais les ramassent et en mangent le nombre qui correspond à leur âge auquel on ajoute une année. Le but est de devenir plus robuste, d’éviter les maladies et de se porter chance pour l’année qui vient. Ils peuvent également prier pour leur santé et la bonne fortune dans les temples ou les sanctuaires.
Les Japonais célèbrent setsubun différemment selon les régions. Apparu au XIIème siècle, hîragi iwashi (柊鰯, littéralement le « houx et la sardine ») consiste à suspendre à la porte d’entrée des têtes de sardines séchées plantées sur une feuille de houx afin de chasser les mauvais esprits. Les magasins vendent également des kits setsubun composés d’un masque de démon et d’un sachet de haricots porte-bonheur.
Une fête ne serait rien sans nourriture…
Les supermarchés et les konbini (コンビニ, équivalent japonais des supérettes) n’ont pas tardé à voir le potentiel de vente de cette tradition ancestrale et ont saisi l’opportunité d’en faire une fête commerciale. Grâce aux campagnes promotionnelles, le maki (巻き, rouleau de sushi entouré d’une feuille d’algue) est devenu l’emblème culinaire de la célébration. Surnommé en 1998 par la marque Seven Eleven « ehômaki » (恵方巻, littéralement « le rouleau en direction de la bénédiction »), ce long sushi est traditionnellement consommé le soir de setsubun.
Pour attirer la chance, il doit être mangé d’une traite en silence dans la direction de bon augure de l’année en faisant un vœu. Cette année, il s’agit du Nord/Nord-Est. La feuille d’algue qui enveloppe le riz symbolise le bonheur qui vient s’enrouler autour de soi. Les Japonais considèrent également que couper les sushis durant cette période porte malheur. De plus, le ehômaki est garni de sept ingrédients qui symbolisent les sept dieux de la fortune (七福神, shichi fukujin).
Les géants de l’alimentaire n’ont pas inventé cette tradition. Au contraire, il s’agit en réalité d’une ancienne coutume d’Osaka appelée « marukaburi-zushi » (丸かぶり寿司, littéralement « rouleau de sushi croqué tel quel ») qui s’est ensuite étendue à l’ensemble du pays. Les konbini vendent également des gâteaux roulés car ils ont une forme identique aux ehômaki.
« Je l’ai déjà vu dans ce manga… ! »
Les démons sont généralement représentés avec des cornes, des cheveux frisés voire afro et la peau bleue ou rouge. Ils portent un pagne en peau de tigre et tiennent une massue à la main. Leur apparence ne vous dit peut être rien. Pourtant, vous les avez sûrement déjà croisés dans vos mangas et animes préférés. Bien que setsubun s’intègre rarement dans l’intrigue d’une série, certains auteurs s’inspirent de ces démons pour créer leurs personnages.
Source : Instagram officiel de Hiro Mashima
Source : Nautiljon
Plusieurs auteurs mettent également en scène leurs personnages à l’occasion du setsubun. De cette façon, ils peuvent promouvoir des jeux saisonniers, des événements ou des nouveaux chapitres. Ainsi, deux illustrations d’Ochako et Tsuyu du manga My Hero Academia en train de lancer des haricots ont été intégrées dans le jeu mobile Smash Tap pour l’événement setsubun.
Déjà en 1980, Akira Toriyama mettait en scène ses personnages sur la couverture du chapitre de Dr Slump du Weekly Shonen Jump #37 à l’occasion de setsubun. Sur la « tobira » (page d’ouverture d’un chapitre), on voit Arale représentée sous les traits de Momotaro, un héros du folklore japonais célèbre pour avoir vaincu des démons. Elle combat les démons Dr Slump et Gatchan, en arrière plan, à l’aide d’un canon à haricots.
Rendez-vous dans deux semaines pour en apprendre davantage sur les coutumes des fêtes japonaises à l’occasion de la fête des amoureux : la Saint Valentin !
Sources : Kanpai ; Nippon ; Furansu Japon ; Vivre à Tokyo ; Otaquest ; Tokyo Pop ; Db-z.com
Article écrit le 3 février 2021.