Une affaire secoue la communauté manga sur X. En cause, une colorisation de PRISONNIER RIKU par un fan et la réaction de Shinobu Seguchi.
Le 6 avril, l’utilisateur @Atsukyoo publie sa colorisation d’un dessin de Shinobu Seguchi après qu’on le lui ait conseillé sur un serveur Discord. Il faut dire que l’auteur est très actif sur X, et que cela aurait pu permettre d’initier une discussion ou de lui faire parvenir l’hommage. Dans l’idée, c’est simplement un fan qui montre à l’auteur que son travail est populaire en dehors du Japon.
Comme prévu, il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que l’auteur voit la publication. Il a même pris le temps de commenter. Malheureusement, c’est à partir de là que les choses ont pris une très mauvaise tournure :
En se fiant à la traduction Google, on interprète très rapidement le message de l’auteur comme étant incisif, et même violent à l’égard du jeune artiste. Ce dernier refusant de supprimer son travail, il n’en fallut pas plus pour que les foules de X s’embrasent. Soutien de l’auteur, soutien du jeune coloriste, japonais, français, anglais, italiens et j’en passe. Tous y sont allés de leur commentaire. Et pour le coup, les intentions étaient très claires. On parle d’un véritable cyber-harcèlement, et ce, des deux côtés.
Mais alors, comment expliquer cela ?
La faute à google traduction ?
Si on prend la peine de traduire le message initial de l’auteur, de manière précise, on a déjà un début d’explication.
L’idée de la traduction Google est fidèle, mais elle fait fi des nuances et des tournures. Le message de l’auteur n’est pas agressif, les tournures sont polies. Il explique qu’il a peur qu’on pense que c’est un de ses travaux, et que cela ne lui plaît pas car cela ne reflète pas la qualité de son travail. Ainsi, si l’auteur demande la suppression de l’image, c’est parce qu’elle peut entraîner une confusion. Et il s’oppose fermement à cette confusion.
Il justifie son commentaire en disant que ce n’est pas présenté comme un « fanart classique » (signature de l’artiste, absence de description explicative et « simple » colorisation par superposition). Mais ce qui a pu faire tiquer dans son message, c’est la critique. Shinobu Seguchi reproche que le dessin ne retranscrive pas ce qu’il avait imaginé en dessinant et que le projet manque de sens.
Ce qu’il sous-entend, c’est qu’il aurait préféré un fanart où l’artiste redessine l’oeuvre. Il ajoute d’ailleurs qu’il n’a rien contre ces « fanart classiques », qu’il les accepte car il considère ces dessins comme positifs.
Merci Emma pour l’aide de traduction !
La faute aux différences culturelles ?
Au Japon, la propriété intellectuelle est perçue très différemment. L’utilisateur @sabu_eo nous l’explique. Il rapporte qu’il est fréquent que des personnes détestent les artistes qui colorisent des illustrations sans autorisation des créateurs originaux. Il précise d’ailleurs que c’est souvent perçu comme un harcèlement malveillant.
Par la suite, @sabu_eo explique qu’il existe une règle implicite selon laquelle il convient de respecter en premier lieu les intentions de l’auteur original en ce qui concerne les créations dérivées. Ainsi, si l’auteur interdit ces pratiques, les fanarts ne sont pas autorisés ni acceptés. Au Japon, c’est considéré comme normal. Mais pas en France, d’où le conflit.
On peut aussi rappeler l’affaire des arrestations de leakers. La police japonaise recherche ceux qui colorisent les pages de la même manière que ceux qui traduisent les chapitres de manière illégale.
(Les intentions initiales priment, et elles peuvent être différentes. C’est pour cette raison qu’il existe des mangaka comme Makoto Yukimura, qui le temps de partager et commenter les travaux d’autres artistes).
La faute de l’ego ?
Cela va sans dire, si chacun avait mis son ego dans cette affaire, elle n’aura pas fait tant de bruit. Shinobu Seguchi n’aurait pas dû surenchérir avec plusieurs publications ensuite, et plutôt essayer de s’expliquer différemment. @Atsukyoo aurait dû supprimer son travail, ou au moins adopter une posture plus compréhensive par rapport à la demande de l’auteur.
Une chose est sûre, cette affaire aura montré, encore une fois, les différences culturelles avec le Japon. Mais également l’effet néfaste des réseaux sociaux, sur lesquels les messages sont souvent interprétés différemment.
MàJ du 10/04/2024 : L’auteur annonce avoir trouvé un terrain d’entente avec @Atsukyoo et appelle à calmer le jeu. (Source)
Un nouveau manga pour Shinobu Seguchi ?
L’annonce arrive au pire moment, et certains ont d’ailleurs ironisé sur la coïncidence (coup de pub?), mais je souhaitais terminer sur une note positive. Shinobu Seguchi se lance dans un nouveau manga. On ne sait pas vraiment de quoi il s’agira, mais cela ne saurait tarder !
On espère évidemment que la grogne populaire s’apaisera, et que l’on se souviendra de l’auteur pour son manga plutôt que pour cette affaire. Car oui, c’est le genre de chose qui peut faire échouer des négociations pour de futurs titres ou briser la confiance des auteurs envers le lectorat francophone et les éditeurs.
Malgré la virulence et la méchanceté de certains utilisateurs, PRISONNIER RIKU reste un manga génial ! Un véritable coup de poing.
Je vous encourage vivement à le lire, il est disponible aux éditions Akata.
Il en va de même pour son spin-off Boss Rénoma !