Un pingouin meurtrier, un sanctuaire pervers et toute une série de grimaces… voilà la recette magique de La Chance sourit à madame Nikuko, le nouveau projet de Ayumu Watanabe. Et elle marche à tous les coups !
J’ai eu la chance de découvrir en avant-première ce nouveau film totalement déjanté. En proposant un récit touchant autour de la relation mère-fille et des liens familiaux, Ayumu Watanabe nous transporte dans une petite ville portuaire japonaise et nous fait voyager le temps d’un film pour découvrir la vie d’une jeune adolescente en quête d’identité.
Synopsis
Nikuko est une mère célibataire bien en chair et fière de l’être, tout en désir et joie de vivre – un véritable outrage à la culture patriarcale japonaise ! Elle aime bien manger, plaisanter, et a un faible pour des hommes qui n’en valent pas toujours la peine. Après avoir ballotté sa fille Kikurin la moitié de sa vie, elle s’installe dans un petit village de pêcheurs et trouve un travail dans un restaurant traditionnel. Kikurin ne veut pas ressembler à sa mère et ses relations avec Nikuko ne sont pas toujours simples. Jusqu’au jour où ressurgit un secret du passé.
Bande-annonce
La Chance sourit à madame Nikuko est l’adaptation d’un roman éponyme de Kanako Nishi publié en 2014 aux éditions Gentôsha (voir article de Caym et de Balin pour en savoir plus sur le projet). Mais dès à présent, place à la critique.
Scénario 17/20
Une pincée de déceptions amoureuses et un brin de malchance
La Chance sourit à madame Nikuko nous emmène partager le quotidien de Nikuko et sa fille Kikuko. Vivant toutes deux sur un bateau amarré au port d’une petite ville de campagne, leur vie n’est pas des plus faciles, et cela d’aussi loin que l’adolescente s’en souvienne.
En effet, mère célibataire, la vie de Nikuko peut se résumer ainsi : une pincée de déceptions amoureuses et un brin de malchance. Souvent dupée et ruinée, elle a su s’entourer d’hommes plus sournois et malhonnêtes les uns que les autres. La voilà à travailler dans un cabaret, partir à la recherche de son ancien amour ou finir ses jours comme serveuse pour subvenir aux besoins de sa petite famille. Il est peut-être temps que la chance tourne, non ?
Un récit initiatique d’une adolescente en quête d’identité
En réalité, le film suit le quotidien de Kikuko. Son quotidien, c’est celui d’une jeune collégienne en pleine quête d’identité. L’amour, l’amitié, l’acceptation de soi, le rapport au corps, la relation mère-fille, le regard des autres, la tolérance… Tant de questionnements et d’expériences que la jeune fille doit surmonter pour se construire en tant que jeune femme et aller de l’avant.
Tout cela est peut-être d’autant plus difficile qu’elle est la fille de Nikuko qui ne rentre pas tout à fait dans le cadre de la mère idéale. De toute manière, tout le monde le lui dit : « Vous ne vous ressemblez pas du tout ». Cela, Kikuko le sait. Ce n’est pas qu’elle a honte de sa mère mais quand même, elle ne veut pas lui ressembler ! Dans les déboires de l’adolescence, elle devra apprendre à conjuguer vie amicale et vie familiale et apprécier, peut-être, la chance qu’elle a de partager sa vie avec Nikuko.
Parsemé de moments plus drôles et inattendus les uns que les autres, ce film ne perd en rien sa profondeur et son intelligence. Il nous amène à apprécier chaque instant et à réfléchir sur ce que signifie vraiment être une famille.
Personnages 18/20
Quant aux personnages, chacun d’eux nous donne à voir, à sa manière, la façon avec laquelle il trouve sa place au sein de la société.
Kikuko veut jouer l’adulte quand Nikuko a toute la maladresse et l’innocence d’une enfant. La jeune fille redoute le jour où Nikuko se fera remarquer et où elles devront – encore – déménager. Tiraillée entre sa volonté de protéger Nikuko et sa recherche d’émancipation et de construction de soi, Kikuko est le personnage de l’adolescente par excellence. Elle ne cesse d’apprendre de ses expériences et parfois de ses erreurs.
Sa rencontre avec Ninomiya marque un tournant intéressant. Il se crée entre eux une relation qui dépasse la simple romance pour donner encore plus de profondeur au récit. Un duo loufoque qui n’est pas sans nous amuser pour aboutir à une amitié profonde et sincère.
Quant à Nikuko, sa présence est si plaisante qu’on en oublierait que ce genre de représentation de la mère japonaise est encore si rare dans les films d’animation. A l’opposé de l’archétype de la figure maternelle, elle offre à voir une autre réalité, celle d’une mère en surpoids, naïve, ayant des penchants pour la boisson et la bonne viande, qui ne cesse de se démener pour offrir le meilleur à sa fille. Son caractère et son évolution rendent le personnage touchant et attachant. Le regard parfois dur de Kikuko porté sur sa mère donne de la crédibilité au récit tout en aboutissant sur une note plus légère au moment de la révélation finale.
Animation 19/20
Mais ce qui a fini par me convaincre, je devrais même dire par me séduire : c’est l’animation. Au croisement de Masaaki Yuasa et Satoshi Kon, Ayumu Watanabe bouscule les codes. Il nous propose une œuvre déjantée aux formes et mouvements tout en rondeur.
Un film aux multiples influences
Les premières scènes ne mentent pas : l’animation est totalement libérée. Fidèle à ses débuts, le studio 4°C nous replonge presque sans le vouloir au cœur de Mind Game tant il nous montre la liberté et l’espace laissés aux animateurs.
Le film tend à proposer des formes et des visages qui n’auraient jamais existé auparavant. Pourtant, ces personnages ne sont-ils pas un retour à une conception plus ancienne qui tend à disparaître aujourd’hui ? Tout en étant novateur et parfois déstabilisant, le style nous semble pourtant étrangement familier. Et sans parvenir à mettre le doigt dessus, nous laisse avec la nostalgie d’un sentiment de déjà-vu.
Quant au scénario et à la structure du film, ils ne peuvent que nous rappeler le doux Souvenir goutte à goutte d’Isao Takahata tant il nous transporte de souvenir en souvenir pour mieux reconstruire et repenser le présent. Les influences du studio Ghibli sont d’ailleurs à peine dissimulées par les nombreux (mais pas moins géniaux) clins d’œil à Mon Voisin Totoro de Hayao Miyazaki. Kenichi Konishi, directeur de l’animation et concepteur des personnages, est d’ailleurs un ancien du studio qui a porté à bout de bras les projets et explorations esthétiques d’Isao Takahata.
Des décors à couper le souffle
Ayumu Watanabe nous avait déjà habitués à ses sublimes décors avec Les Enfants de la mer. Mais là, c’est une claque. En proposant des décors foisonnant de détails, Kimura Shinji, en charge des décors, a su créer une véritable alchimie entre les personnages et les paysages. Contrastant avec le côté cartoonesque des personnages, leur réalisme nous plonge dans cette petite ville comme si on y était.
Note globale 18/20
Loufoque et décalé, ce film est un ravissement d’1h40. Entre rire et émotion, il saura ravir tout spectateur qui recherche un moment d’évasion ou une bouffée d’air frais.
Ayumu Watanabe dépeint à la perfection le lien à autrui et la construction de soi, sans jamais faire de raccourci ni de caricature. Certes, la révélation finale pourra diviser les spectateurs. Mais nul doute qu’elle restera plaisante tant elle est sincère et touchante. Finalement, le film nous rappelle l’importance d’aller de l’avant et de toujours poursuivre le chemin du changement.
Le nouveau film d’Ayumu Watanabe est distribuée par Eurozoom et sort au cinéma le 8 juin prochain. Je ne peux que vous recommander de donner sa chance à madame Nikuko !