Shintaro Kago est de retour en France avec La Princesse du Château sans fin et un artbook aux éditions Huber ! Voici notre avis !
Et en premier lieu, je souhaitais remercier les éditions Huber et The Mansion Press pour l’envoi de ces deux ouvrages !
La Princesse du Château sans fin, un manga particulier !
Avec une telle couverture, il n’y a pas de doute: La Princesse du Château sans fin n’est pas un manga à mettre entre toutes les mains ! Il est évidemment réservé à un public averti !
C’est un manga un peu particulier. En effet, il s’agit d’une commande de l’éditeur italien Hollow Press. De fait, l’ouvrage a été pensé et publié en sens de lecture occidental : c’est le sens de lecture original !
Les éditions Huber ont bien évidemment respecté ce sens de lecture et nous permettent de découvrir le manga dans son très grand format initial (A4: 21 x 29,7). L’édition en elle-même est de bonne qualité, le papier est correct et les couvertures cartonnées. En revanche, le gros bémol que j’émets : ce sont les fautes ! Il y a trop de coquilles malheureusement…
La Princesse du Chateau sans fin raconte l’histoire d’un princesse déchue décidée à venger la mort et la trahison de son époux et maître, le Seigneur Oda. La rancoeur et la fureur lui donnent une volonté implacable. Quelle n’est pas sa surprise quand elle réalise que son maître, mort sous ses yeux, existe dans une autre réalité et même dans d’inombrables autres réalités où l’histoire a pris des tournants bien différents.
Et si vous souhaitez en apprendre plus sur Shintaro Kago, une partie de mon article sur le Manga d’horreur lui est consacrée !
À la découverte du manga d’horreur !
Entrons dans le château des possibilités !
Comme son titre l’indique, il est question d’une princesse et de château dans La Princesse du Château sans fin. Le récit débute dans une époque qui rappelle l’ère Sengoku, mais ne vous y trompez pas: tout y est fantasmé.
Rapidement, on est mis au fait des règles de cet univers. À mesure que le temps avance, les étages se construisent et le château s’élève. De plus chaque événement important a deux issues, et donc autant de futurs possibles. Chaque futur se matérialise par un château. Ainsi, d’une même base partent deux châteaux, un pour chaque chronologie à partir de l’évènement de division. Mais évidemment, d’autres divisions peuvent avoir lieu, amenant rapidement a une infinité de château. Personnellement, j’ai adoré ces concepts, que j’ai trouvé originaux.
Dans ce monde loufoque, on suit Oda Nobunaga, Akechi Mitsuhide mais surtout la Princesse Nô. Cette dernière, dans la chronologie où Mitsuhide a tué son mari Oda Nobunaga, cherche à se venger. Mais son chemin est semé d’embûches. À travers les étages, elle cherche des alliés pour l’aider dans sa quête. Cette histoire, convenue, est un prétexte à l’exploration des bizarreries de l’édifice. Tant et si bien que l’auteur en oublie l’intrigue initiale et que le récit s’embarque dans toujours plus d’absurdités.
Parmi les autres bémols que j’émettrais, comme souvent avec avec les œuvres ayant trait à l’Histoire, le manga fait appel à des bases historiques, ici japonaises. De fait, si on n’est pas un amateur du sujet on peut être un peu perdus dans les noms, les évènements qui se déroulent. Cela peut être un frein à la lecture.
Histoire: 3/5
Pour ce qui est du dessin, Shintaro Kago nous offre toute l’étendue de son art avec La Princesse du Château sans fin. Le trait est soigné, très précis. Les visages sont détaillés, rendant chaque personnage identifiable. Le travail sur les vêtements est également assez fidèle à ce qui se faisait à l’époque présumée de l’histoire.
On peut formuler quelques réticences quant aux scènes d’action, qui sont un peu rigides. Cependant, comme l’oeuvre n’a pas pour but de nous proposer des séquences de combat mémorable, je n’en tiens personnellement pas rigueur.
Pour ma part, j’avoue avoir été subjugué par sa gestion des décors. Les châteaux sont incroyables, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. J’ai adoré les mises en scène des bâtiments qui se dédoublent, qui grandissent. Les planches où l’on prend de la hauteur sont à couper le souffle; littéralement si, comme moi, vous avez une tendance au vertige.
Bien évidemment, je ne peux pas parler de l’esthétique du manga sans aborder le style ero guro de Shintaro Kago. Mélange d’érotisme, de macabre et de grotesque, ce style, japonais au départn est très particulier. La violence graphique est importante, il n’y a aucune censure. Des corps sont tranchés, lacérés, découpés. Les sexes sont apparents, les scènes sont parfois difficiles à soutenir. L’auteur ne manque pas d’idée quand il s’agit de donner des visuels cauchemardesques, qui peuvent aller jusqu’à dégoûter.
Esthétique: 5/5
S’il est un point que j’ai particulièrement apprécié dans La Princesse du Château sans Fin, c’est sa narration. La façon qu’à Shintaro Kago de raconter et de dessiner son histoire est tout simplement exceptionnelle. Je recommanderai donc plus l’oeuvre pour sa narration atypique que pour son histoire.
Dans ce monde où chaque événement important donne naissance à deux réalités différentes, l’auteur s’amuse à mettre en scène ces deux lignes de temps. Ainsi, on a souvent deux histoires qui se déroulent en même temps, en parallèle au sens propre comme figuré. C’est redondant et rébarbatif, évidemment, puisqu’on lit parfois deux fois la même chose. Mais ça a aussi quelque chose d’intrigant, de magnétique.
Et pour rester dans l’insolite, il arrive également que le découpage soit inégal laissant plus de place à une histoire qu’à l’autre. Ou bien qu’une histoire soit coupée, les cases arrivant alors en bout de page et simulant une mauvaise coupe de massicot. Toutes ces petites trouvailles rendent la lecture ludique, et d’autant plus appréciable.
À la fin, l’auteur finit par jouer avec tout ce qu’il a construit. Parfois, il va littéralement jusqu’à le déconstruire. Les cases sont reliées malgré les gouttières, elles se percutent, fusionnent. Finalement, on a comme une impression que le récit brise le quatrième mur, qu’il évolue en même temps que notre lecture. On en arrive à se demander si l’histoire aura le même déroulé si on la relit.
Narration: 4/5
La Princesse du Château sans fin est un manga d’horreur, un vrai. Son but n’est pas de choquer, mais de mettre mal à l’aise, de toucher nos tripes pour faire ressortir l’émotion viscérale qu’est la peur.
Le récit joue sur plusieurs tableaux qui suscitent l’effroi. Le premier, c’est évidemment la sensation de vertige. Les châteaux grandissant sans limite et sans cesse, les édifices deviennent immenses. La mise en scène donne alors l’impression dérangeante du vertige.
La deuxième, c’est la sensation d’enfermement. Toute l’action du récit se passe dans un château. Les seules notions d’extérieur se limitent à la vue d’une fenêtre. Et encore, bien souvent seuls des nuages nous sont montrés… De plus, à mesure qu’il grandit, visuellement, le château paraît plus étroit. C’est un paradoxe dérangeant qui vient accentuer l’idée d’espace clos et le mal-être lors de la lecture.
Un troisième point pourrait être le malaise de la répétition. Fondamentalement, notre esprit n’apprécie pas les redite; il cherche toujours une suite. Dans ce manga, il n’y a pas de suite, et les redondances sont légion. Dans l’histoire, mais aussi dans les visuels, les motifs se répètent. Cela crée un sentiment d’inconfort, et une frustration aussi.
Et enfin vient le body horror. S’il est une peur primaire, commune à tout le monde, c’est probablement celle-ci. La difformité d’un corps, les mutilations… L’intensité du sentiment suscité par ces visions n’a d’égal que le génie de Shintaro Kago pour mettre en scène des situations qui dérangent.
Pour ma part, La Princesse du château sans fin est sans conteste un excellent manga d’horreur.
Horreur: 5/5
La princesse du château sans fin, En résumé:
Si je devais résumer ma lecture, ce serait une expérience insolite. Le scénario en lui-même n’est pas transcendant, il s’agit de la vengeance de la Princesse Nō à l’encontre de Akechi Mitsuhide, qui a tué son époux Oda Nobunaga.
Mais les concepts auxquels l’auteur font appel sont des plus originaux. Et les illustrations qu’il propose apportent une dimension particulière au tout. Les châteaux qui s’élèvent, qui se divisent, se multiplient comme autant d’issues possibles à des tournants de l’histoire japonaise.
Le point fort de ce one-shot selon moi, c’est sa narration. Pour garder cette idée de chronologies parallèles, l’auteur n’hésite pas à les mettre en scène, littéralement. Ainsi certaines pages présentent des situations mirroir. Shintaro Kago joue avec l’espace, avec les cases, avec les règles que lui-même établit dans son univers. Lire ce manga, c’est avoir un aperçu de l’esprit loufoque de son auteur.
Et si au début, rien ne semble très horrifique, très rapidement l’auteur dévoile l’étendue de sa maîtrise de l’ero-guro et de l’absurde. J’attendais que l’œuvre me fasse frissonner, qu’elle me mette mal à l’aise… Je n’ai pas été déçu ! Shintaro Kago a recours à tout un tas de procédés qui font appel à nos peurs les plus ancrées dans notre esprit. Le vertige, l’enfermement, les répétitions. Et surtout… Le body-horror ! Il faudra que votre cœur soit bien accroché.
Note globale: 17/20
Aparté sur l’artbook de Shintaro Kago
Tout d’abord, je dois dire que cet artbook un magnifique ouvrage. Les couvertures sont rigides, le papier est épais, l’impression et les couleurs sont vraiment belles. Même si on n’est pas amateur d’horreur et du style de Kago, il faut reconnaître que l’objet est travaillé et soigné.
Maintenant pour ce qui est du contenu… C’est l’essence même de l’art de Shintaro Kago. C’est gore, c’est délirant, complètement surréaliste. On est proche du malaise parfois. Mais pour ma part, j’adore voir la manière dont il repousse certaines limites, dont il associe des éléments, ou joue avec les perspectives.
Si vous appréciez les oeuvres de Salvatore Dali, de René Magritte, ou plus largement le surréalisme; alors le travail de Shintaro Kago pourrait vous plaire. À condition d’avoir un estomac bien accroché évidemment, car certains visuels sont crus, violents, extrêmes.