Voici la suite et la fin de notre Interview de Thomas C. Durand, alias Acermendax sur la Fiction. Retrouvez la 1ère partie ici et la seconde ici.
Interview sur la Fiction, 3ème partie
Shima : Alors là, c’est une question qui concerne vos goûts personnels. Dans une fiction, si l’auteur aborde la science ou un autre domaine en ne donnant comme argument qu’un « Ta gueule c’est quantique », Arrivez-vous à vous en contenter et poursuivre l’appréciation de la fiction ou est-ce rédhibitoire pour votre divertissement ?
Thomas : Ça dépend, ça dépasse.
(fou rire général)
Si c’est un bon auteur, il a tous les droits, c’est un artiste. Donc si son explication c’est de dire là il y a un truc, c’est quantique, parce que ce n’est pas ça dont je vous parle. Bon, Star Wars, d’abord ce n’est pas de la vraie SF pour moi. C’est de la fantasy, dans l’espace et j’aime beaucoup, mais voilà. Qu’on ne sache pas comment marchent les vaisseaux, on s’en fou, on est dedans. On est contents. On est à fond dedans. Il va à 0,5 ou à 12 par sec, ça ne veut rien dire, mais on est contents. Parce qu’on nous raconte une histoire où on cavalcade partout, les vaisseaux rugissent dans l’espace, ça n’a aucun sens, mais c’est beau !
Naru : A aucun moment, ils n’ont cherché à expliquer comment… Sauf avec les midicloriens.
Thomas : Alors ça c’est une grosse bourde pour le coup ! On en a parlé tout à l’heure (dans l’interview précédent la nôtre).
Donc, ça dépend comment c’est fait. J’ai acheté le livre La Science du Disque-Monde, je ne l’ai pas encore lu. C’est ce qu’il me manque dans mon œuvre de Pratchett, j’ai tout le reste, mais je n’ai pas lu celui-là. Et dans l’intro, il assume. Évidemment qu’on ne va pas vous parler de vraie science, évidement que le Disque-Monde n’a pas vocation a être un truc cohérent, ce n’est pas cohérent. N’empêche que le monde imaginaire peut mettre en scène des événements, et on se dit « mais dis donc, comment ça se passe dans le monde réel ? » Eh bien, avoir une scène où on a des vaisseaux qui rugissent dans l’espace, ça permet de dire à un gamin, « en fait, dans l’espace il n’y a pas de son ! » et le gamin peut l’apprendre comme ça. En voyant un film où il y a du son, à côté, il voit 2001 l’Odyssée de l’Espace ou The Expanse, qui eux, sont plus réalistes, et si il connaît bien Star Wars, il va se rendre compte qu’il y a une différence, et si il a 12 ans, il va se dire « Mais pourquoi il n’y a pas de son ? ». Bon, à 12 ans peut-être qu’il sait déjà, mais voilà… Je pense que voir des situations impossibles permet de se demander « Mais ça, est-ce que c’est possible, et si ce n’est pas possible, pourquoi ? »
Shima : C’est vrai que la fiction peut apporter un questionnement sur le fonctionnement du monde, mais est-ce que la culture populaire fictive a pu avoir une influence négative sur les risques sectaires, le créationnisme, l’évolution, les fausses croyances à grande échelle ? On a eu l’exemple de Laurent Freeman de Stop Mensonges qui vous déclarait : « Hollywood est le seul endroit où pour relâcher la pression, on nous dit la vérité et tout le reste on nous ment. »
Thomas : Oui, selon lui, Indiana Jones, c’est de la vraie histoire, donc on nous la fait voir sous la forme d’un film, pour que, comme tout ce qui est connaissance, se diffuse et on a accès à la connaissance par notre glande pinéale ou un truc comme ça, alors comme on l’a vu sous forme de fiction, le jour où ça nous arrive, on croit que c’est de la fiction. En gros, on nous manipule. Bon lui, je pense qu’il n’est pas loin de la maladie psychiatrique. Il est très loin.
Je pense que la fiction a beaucoup plus d’effets positifs que négatifs. La fiction n’est pas de la propagande. On ouvre des portes vers des univers possibles. Alors, si on ouvre toujours les mêmes portes – il y avait une conférence sur le Space Opéra tout à l’heure – à un moment donné, il y a des codes. Et si les codes, on ne les questionne jamais, ça devient une forme de pensée unique qui empêche de penser le futur autrement que comme dans Dune ou dans Star Strek ou que sais-je. Encore que Star Trek est un futur très très très désirable. C’est l’une des rares Utopies réelles Star Trek. Philosophiquement, c’est si l’humain réussi à se domestiquer totalement, à abandonner l’argent. Et donc, il reste plein de problèmes à l’humain, mais ils ont résolu les principaux. Il n’y a plus de maladie, plus de famine etc… Il y a une égalité, une fédération qui vaut ce qu’elle vaut… C’est une vraie utopie positive. C’est n’est pas pour ça qu’elle est connue, mais c’était dans le cahier des charges, à la bonne heure, parce qu’on est plutôt pessimistes sur l’avenir.
Moi, quand j’étais gamin, on attendait l’an 2000. On l’a eu, ça fait presque 20 ans que c’est passé. Où sont nos voitures volantes ? Bon, on a les tablettes. J’ai au bout du doigt une technologie de malade, de fou, qui me sert à casser des briques ou regarder des chatons ou voir du porno. Ce sont les usages principaux. Bon, ça me sert à autre chose aussi hein, mais, allez voir un savant du XVème siècle. Vous lui montrez ça. D’abord il crie à la sorcellerie, ensuite, vous lui expliquez que cet outil-là, qui donne accès à quasiment toutes les connaissances. Et si on lui dit, que cet outil-là, qui permet ça, les gens l’utilisent, pour ce qu’on en fait, dans la vie de tous les jours, je pense qu’il fait une grosse dépression. Donc il ne sait pas qu’on fait ça et tant mieux.
Je ne sais plus quelle était la question, mais je pense que la fiction a globalement un rôle positif car on ouvre des portes nouvelles. Et tant qu’on stimule les gens avec des questions nouvelles, alors on les habitue à se contenter des réponses, pas toujours les mêmes et c’est plutôt bien.
Naru : Donc rêver ça servirait à avancer au final ?
On a démontré que les gamins qui lisent plus de fiction, font plus la distinction entre le vrai et le faux. Les gamins qui sont élevés par des parents religieux, les enfants religieux, distinguent moins le vrai du faux parce qu’on leur dit qu’une histoire comme Adam et Eve ou le déluge, c’est vrai. Le gamin comprends bien qu’il y a un problème, mais on lui dit que c’est vrai, donc ça brouille sa vision de ce qui est réel ou ce qui est faux. Si on lui raconte les histoire de Arthur et le Graal, en mode « c’est une légende », le gamin comprends très bien. Il y avait une table ronde en bas, dès 3 ans l’enfant distingue ce qui est vrai et ce qui est imaginaire. Pas tous, pas toujours, mais en gros, ils font la distinction. Donc si on les habitue à identifier, ça c’est une histoire, les personnages sont vrais, mais dans l’histoire. Alors, on les habitue à avoir un tri qui se fait bien. Si on brouille en disant, « c’est une légende, mais c’est vrai ! », alors qu’est ce qu’on en fait ? Et donc ça c’est plutôt l’aspect négatif de la religion.
Je pense que la fiction a vraiment un rôle positif, et moi je n’en consomme plus assez. Ça fait 5 ans que j’ai lu 2 romans, 3 romans en 5 ans parce que je lis des trucs de science qui sont importants pour moi.
Shima : Dans votre critique de Lucy, vous déclarez : « Attention, crédulité doit-il rimer avec débilité ? Les excellents films et romans de science-fiction sont assez nombreux pour montrer qu’un divertissement intelligent et cohérent est possible. »
Avez-vous des œuvres de bonne science-fiction à nous conseiller ?
Thomas : Alors il y a des bons Star Trek et des mauvais Star Trek. Dans la série, il y a vraiment des épisodes qui sont mauvais, parce qu’il y a un message bizarre, mais d’autres qui sont très bons sur le questionnement.
Là, je cherche de la très bonne science-fiction.
Shima : Ou de la Fantasy, de la fiction autre…
Thomas : Game Of Thrones, mais on laisse de côté la dernière saison.
Shima : J’ai beaucoup aimé votre article sur Game of Thrones est-elle un série zététique ?
Thomas : Avec le recul, je comprends de mieux en mieux les critiques, parce que c’est vrai qu’elle a été bâclée cette saison. C’était très frustrant. Mais voilà, c’est de la fantasy, mais ça sonne beaucoup plus vrai que beaucoup de fictions qui se passent dans le monde réel. Parce que les personnages sont vrais. Les personnages sonnent vrai. Et les relations de pouvoir sonnent vrai, et donc ce n’est pas parce que c’est imaginaire qu’il faut… Il faut une cohérence au récit. Sans cohérence, on ne peut pas accepter de suspendre son incrédulité.
Alors des bonnes œuvres ? Je ne sais pas là, je suis un peu pris de cours et je ne consomme pas beaucoup de littérature de SF. Je n’ai pas beaucoup lu, finalement. Même au cinéma… J’ai beaucoup aimé Galaxy Quest, mais ce n’est pas de la vraie bonne SF, c’est un vrai bon film qui se moque des codes de la science-fiction.
Naru : En Science-fiction, je recommande toujours Orson Scott Card, même si ils en ont fait de la merde sur le film…
Thomas : Ender ?
Naru : Oui, la Stratégie Ender
Thomas : Ah oui, avec Xénocide et compagnie.
Naru : Et la voie des morts, qui a été un livre formateur pour moi.
Thomas : Malheureusement j’ai appris des choses sur l’auteur. Mormon, homophobe, très homophobe et donc je ne conseille plus cette œuvre, mais bon, l’œuvre est bien. Mais j’ai des scrupules à mettre en avant l’œuvre de quelqu’un que je ne respecte pas. Mais il a fait Alvin le faiseur qui est très bien aussi. J’ai lu Card, et c’est un bon auteur, mais le personnage me dégoûte.
Après il y a Pratchett, mais j’en ai déjà parlé. Et c’est pareil, Pratchett, c’est pas de la SF. En plus il a dit un truc totalement faux : « la science-fiction c’est de la fantasy avec des boulons ». La phrase est géniale, mais la vraie SF… Star Wars c’est de la fantasy avec des boulons et donc ce n’est pas de la vraie SF, parce qu’il n’y a pas les vrais enjeux, les vrais thèmes. Dune, c’est de la vraie SF. Dune j’ai lu quand j’étais ado et je crois que j’ai capté que 20%. Il faudrait que je le lise, mais je n’ai pas le courage.
Naru : Le film de Lynch est fou !
Thomas : Oui, mais il est raté dans la mesure où il ne rend pas justice, mais en même temps, comment va faire Villeneuve ? Le film Dune est un de ceux que j’attends avec le plus d’inquiétude, mais en même temps, je ne vais pas me mettre la pression. Je vais y aller et je pense qu’il y a des choses au moins qu’on va aimer dans le film et peut-être que ça va être un chef-d’œuvre.
Naru : Il faut y aller, au moins pour récompenser pour l’essai, pour la prise de risque.
Thomas : Tout à fait. En plus, Villeneuve a une filmographie qui est respectable donc on peut faire confiance.
Shima : C’était tout pour mes questions, si vous avez quelque chose à rajouter ?
Thomas : Je vais aller me préparer pour la table ronde qui est juste après. Bah pour une première c’est quand même pas mal ! On est bien ! C’est cool, il ne faut jamais se mettre la pression. En plus vous vous êtes documentés, on le voit bien avec les citations, c’est quelqu’un qui m’a lu, donc c’est bien, c’est ce qu’il faut faire !
Shima & Naru : Merci beaucoup et merci pour votre temps !
Conférence de Thomas Durand aux Utopiales 2019
Conférence sur les Biais Mentaux :
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Crédit de l’image (bannière Facebook de Thomas) : Crédit : Thomas O’Brien www.facebook.com/thomasobrienpro