Alors que le marché des anime continue de s’accroître, la précarité toujours plus forte des animateurs au Japon, essentiel à la réalisation des anime, pose question.
Vous le savez sûrement : le salaire et les conditions de travail des personnes travaillant dans l’industrie de l’animation au Japon, sont très problématiques. Alors que les anime sont aujourd’hui un levier d’influence culturelle important pour le Japon dans le monde; et que ce secteur connaît une croissance monstrueuse ces dernières années, peu de choses ont fait avancer la situation.
Un salaire à la hauteur du travail ?
En 2019, une enquête réalisée par la Fédération japonaise des animateurs et des créateurs révélait que dans les studios japonais, seuls 14 % des animateurs ont un CDI et plus de la moitié sont des free-lance. Un statut qui en théorie peut donner accès à des revenus avantageux, mais ce n’est pas le cas pour la majorité des animateurs.
Selon la chaine Youtube Animator Dormitory, qui donne la parole anonymement à des animateurs japonais, un débutant gagnerait entre 30.000 et 50.000 yens par mois, soit 230 à 390 euros en fonction du studio dans lequel il est employé.
Même avec de l’expérience, la situation évolue peu. Alors que le revenu annuel moyen des animateurs est de 4,4 millions de yens (37 700 euros), ils ne bénéficient que de 5,4 jours de repos par mois (week-ends et jours fériés compris).
Pas de quoi vivre dignement, encore moins de quoi fonder une famille ou envisager une carrière, alors que le salaire moyen au Japon est de près de 350 000 yens par mois, soit 2 659 euros. Un constat encore plus dur pour les animateurs, où à moins d’être une star du milieu, un tel salaire apparaît presque comme une utopie.
Pourtant, au vu de la demande d’anime de plus en plus forte (selon la Fédération japonaise des jeux vidéo, le marché de l’animation japonaise a progressé de 60 % entre 2008 et 2018), les besoins en animateurs qualifiés, devraient permettre de demander une rémunération plus élevée.
L’ikigai, une tradition qui pose problème
Mais au Japon, l’Ikigai, ce que nous Français appelons la raison d’être, prime souvent sur l’économie. Là où en France, nous cherchons en priorité un salaire confortable pour bien vivre, les Japonais sont nombreux à tout sacrifier pour avoir le job de leur rêve, quitte à accepter des cadences souvent infernales, sans même demander une hausse de salaire. Car pour eux, c’est la passion qu’ils mettent dans leur travail qui les rend heureux.
Et même si le gouvernement japonais cherche à améliorer la situation des animateurs, peut-être que les studios eux-mêmes profitent de cette situation et ne font rien pour la changer.
On se souvient par exemple du cas MAPPA, studio derrière SNK, Jujutsu Kaisen et bientôt Chainsaw Man. Récemment, Teruyuki Omine, le directeur de production de la saison 4 de SNK tweetait qu’il était de retour chez lui pour la première fois depuis 3 jours, signe d’une cadence de travail intenable pour n’importe quelle personne.
A la clé, un épisode unanimement acclamé par les fans mais en dehors de ça rien. Pas de royalties, pas de prime pour ses trois jours intenses, pas de congés puisqu’il faut déjà s’attaquer aux épisodes suivants.
Une situation dont profite les rivaux ?
Des conditions de travail et un salaire misérable, ça fait quand même fuir malgré l’Ikigai. Alors, de plus en plus d’animateurs partent en Chine, pour travailler dans des studios d’animations bien plus humain. Depuis 2019, un nombre croissant de studio chinois s’intéresse aux animateurs de talents issus du Japon, et ils font tout pour les séduire.
Dans le même temps, c’est la Chine qui vient au Japon, en y implantant des studios qui travaillent pour des géants du divertissement chinois. C’est notamment le cas de Colored Pencil Animation Japon, un studio qui propose à ses animateurs des CDI et un salaire mensuel supérieur à la moyenne du secteur. Un débutant peut ainsi espérer y toucher environ 175 000 yens (1 500 euros) ! En plus de ce salaire confortable, les studios chinois proposent également un environnement de travail convivial et des horaires flexibles. En fait, ils font simplement ce que les studios japonais ne font pas pour leur employés.
Ces avantages s’expliquent par le durcissement des règles de distribution des contenus de divertissement étrangers en Chine. Cette mesure a entraîné la limitation, depuis 2018, des achats d’œuvres d’animation japonaises. Cela a poussé les plateformes chinoises à investir dans des anime chinois, tout en confiant leur production aux Japonais, les meilleurs dans le domaine.
La Chine a aussi surtout profité de la faiblesse des studios japonais, qui depuis plusieurs années restent sur leur acquis. Sur l’ensemble du chiffre d’affaire réalisés par le secteur des anime entre 2008 et 2018, la production japonaise n’a participé à ce chiffre d’affaires qu’à hauteur de 12 %.
Les comités de production, au cœur du problème
L’un des facteurs à l’origine de cette perte d’influence est le rôle central des “comités de production”, qui recueillent des capitaux de diverses sources. La moitié des œuvres d’animation sont vendues à des pays étrangers et les revenus tirés des produits dérivés vont à ces comités, qui sont financés par les agences de publicité et les chaînes de télévision.
En plus de cela, ces comités confient de plus de tâches de production à des sous-traitants étrangers, pour réduire les coûts et maximiser leur bénéfices. Des bénéfices qui bien évidemment, ne sont pas perçus par toutes les personnes qui ont travaillé d’arrache-pied pour permettre la diffusion de ces anime.
Mais cette main mise pourrait vite disparaître, si ces comités ne prennent pas conscience de la nécessité de créer un dispositif de redistribution des bénéfices viable et plus juste. Sans cela, la concurrence internationale pourrait bien finir par prendre le dessus sur le Japon sur la production d’anime.